Siobhan Dowd était une romancière pour la jeunesse irlandaise. Après avoir publié deux romans salués par la critique qui faisait d'elle un auteur à suivre, elle s'éteint des suites d'un cancer en 2007. Deux romans posthumes sont venus depuis s'ajouter à sa bibliographie ; tous sont traduits. Et elle avait en réserve au moins une idée de roman, dont elle avait dressé le synopsis et écrit les premières pages. Afin de lui rendre hommage, il a été demandé à un autre écrivain pour la jeunesse, Patrick Ness – connu pour sa trilogie du Chaos en marche – de rédiger le roman selon les bribes laissés par Dowd. Ce qui nous donne Quelques minutes après minuit.

     Conor O'Mally, adolescent, vit un drame au jour le jour : sa mère est atteinte d'un cancer. Divorcée, elle arrive encore à s'occuper de lui entre deux séjours à l'hôpital, mais Conor est régulièrement mis à contribution pour les tâches ménagères. Ce qui lui convient parfaitement, car cela lui permet d'oublier deux autres motifs de son moral en berne : à l'école, il est régulièrement la cible de brimades de trois de ses camarades de classe ; pire, il est la proie nuit après nuit d'un cauchemar récurrent. Aussi, lorsque l'if qui se dresse en face de sa fenêtre s'avère être un monstre qui un beau soir s'en prend à sa fenêtre, croit-il dans un premier temps que cet homme-arbre provient de son cauchemar. Jusqu'à ce qu'il apprenne que l'if veut avant tout lui raconter des histoires...

     Roman d'apprentissage des moments difficiles que nous devons tous traverser un jour ou l'autre, ce livre est un pur joyau de psychologie. La personnalité de Conor est d'une complexité mais aussi d'une sensibilité proprement impressionnante, tour à tour plein d'espoir, inquiet, gentil ou au contraire buté. Autour de lui, les personnages tentent également de gérer le drame qu'ils vivent : le père séparé qui s'est refait une vie en Amérique, et qui tente de concilier les exigences de sa nouvelle femme avec l'urgence de la situation de son ancienne épouse ; la grand-mère qui, sous des dehors un peu pincés, est bouleversée et n'arrive pas à trouver les codes permettant d'avoir une vraie discussion avec son petit-fils ; et enfin la mère, personnage central dans lequel on reconnaîtra bien évidemment Siobhan Dowd elle-même (l'aspect poignant du livre s'en trouve renforcé), mère courage qui tente avec une vraie conviction de persuader son fils qu'elle va s'en sortir, alors qu'elle n'a aucune certitude. Enfin, le monstre, qui va faire office de guide, à travers des paraboles montrant qu'il est parfois des certitudes qui nous empêchent de progresser. Merveilleux exercice de finesse psychologique, le livre est également d'un équilibre rare entre les moments dramatiques et des scènes un peu plus joyeuses, où l'on sent régulièrement une petite pointe d'ironie.

     La force de ce livre vient également des illustrations de Jim Kay, sublimes de noir et blanc particulièrement envoûtant, tour à tour inquiétantes et porteuses d'espoir. Elles résonnent ainsi de manière parfaite avec le texte, et font de ce livre un splendide roman graphique.

     Vous l'aurez compris, Quelques minutes après minuit est un roman pour la jeunesse d'une force rare, une réussite magistrale dû aux talents conjoints de Siobhan Dowd, Patrick Ness et Jim Kay. À la fin de l'ouvrage, Conor O'Malley a évolué de telle sorte qu'il ne sera plus jamais le même ; gageons qu'il en sera de même pour vous quand vous aurez refermé ce roman.