Après le Japon et l'Amérique du Nord, Jean-Charles Bernardini nous entraîne au cœur de l'Afrique, puis dans les steppes de Mongolie. Dans les deux contes, de mauvais augures annoncent de graves périls et la rupture des équilibres traditionnels.
Karianké, jeune Masaï, garde les veaux avec les garçons de son âge, mais il est déjà plein de courage et n'hésite pas à affronter un lion noir auquel il coupe la queue d'un coup de sagaie. Le guérisseur du clan voit dans cette rencontre un mauvais présage. Aussi envoie-t-il Karianké prévenir les autres tribus. Protégé par un jeune guépard auquel il a sauvé la vie, l'adolescent va affronter la savane et la nuit africaine, peuplées de dieux vengeurs, de créatures dévoreuses d'enfants, de mambas noirs et de sorciers maléfiques. Charge à lui de redonner son ordre à l'univers pour devenir un jeune guerrier.
À l'autre bout du monde, dans une autre plaine, à l'ombre d'autres montagnes, Djötchi chevauche et rêve de voler comme les aigles. Le soir, un vieux conteur relate la geste de Tamdin, le centaure pourfendeur de démons ; survient alors un chaman aux mains noires, porteur de sombres nouvelles : la yourte du père de Djötchi est maudite et les forces du mal veulent tuer le soleil. Commence pour le jeune Mongol une quête qui le mènera à la montagne des aigles. Il côtoiera les divinités de lumière, affrontera la mère des démons et ses hordes de goules, recevra l'aide d'un centaure, d'une fillette et d'un bâton.
Ces deux contes, parfaitement fidèles à l'esprit de la collection Le cercle magique, sont deux initiations à l'âge adulte. Les rites de passage impliquent une transformation pour atteindre une place qui exige de l'individu de nouveaux comportements et de nouvelles connaissances. La puberté représente un événement capital, particulièrement sensible, au cours duquel l'ordre traditionnel du cosmos, de la société ou de la famille est menacé. Le lien temporel qui relie la communauté aux origines, au mythe, s'y fragilise et menace de rompre. La transmission est alors garante de l'ordre universel et le conte, instrument privilégié de cette transmission, est un rituel qu'il convient de mener à bon terme. Lorsque, emporté par son excitation, le jeune Djötchi coupe la parole au conteur, il interrompt le rituel et attire la malédiction sur sa famille. Pour renouer le lien immémorial, il va devoir revivre le mythe fondateur, affronter lui-même les démons, pour permettre au soleil de se lever à nouveau. De même, Karianké rétablit l'ordre en ramenant la petite mariée, qui croit son mari mort, à son village.
Notre société moderne, en voie de globalisation unilatérale, a perdu ce merveilleux outil d'intégration, d'initiation, qu'est le conte. L'engouement des adolescents et des jeunes adultes pour ces contes de fées modernes que sont les récits de fantasy est symptomatique, non pas d'un rejet du réel, mais d'une recherche de repères, de liens dans une société occidentale qui prétend un peu légèrement se situer par-delà le bien et le mal, ainsi que de mots et de figures archétypales pour formuler leurs appréhensions et leurs doutes. Encore faut-il que ces récits ne soient pas des coquilles vides de sens, des songes creux dont la seule fonction serait d'enrichir ceux qui les produisent.
Le retour du conte peut alors être perçu comme la redécouverte d'un remède ancien aux maux de l'existence. Faisant œuvre de passeur de mémoire, Jean-Charles Bernardini nous incite à redécouvrir des trésors d'humanité.
Jonas LENN
Première parution : 1/5/2003 dans Asphodale 3
Mise en ligne le : 6/3/2025