Je confesse un faible pour l’histoire de fantômes qui ne se prend pas au sérieux. Vous rappelez-vous dans ce style (au cinéma) le célèbre « Fantôme à vendre » de René Clair ? On retrouve un humour du même genre dans le charmant roman de Pierre Bessand-Massenet, « Magie rose » (Plon). L’auteur, qui est historien, n’a pas eu de mal à prendre comme thème la présence secrète du passé dans le Paris contemporain, et plus précisément dans le périmètre, chargé de multiples souvenirs, du Palais-Royal. Aux yeux de son héros, les différents plans du temps s’interfèrent, ses dimensions s’effacent. Et, la nuit, l’enceinte déserte se peuple, s’abandonne aux esprits familiers du lieu, palpite du remue-ménage silencieux de toutes les vies qui y ont autrefois défilé.
Ces évocations sont faites avec pittoresque et tendresse ; la fantasmagorie y a l’allure de la simplicité. Elles servent de toile de fond à une intrigue gracieuse, ténue, où se mêlent fantaisie et fraîcheur et qu’on ne peut pas plus raconter qu’on ne toucherait une aile de libellule. La réussite de l’auteur est dans le choix de ses personnages et la description de leur comportement. Sachez seulement qu’il s’agit des relations d’un jeune farfelu plus « Saint-Germain-des-Prés » que nature, avec deux séduisants fantômes féminins qui hantent son logement – de leur vivant demoiselles galantes jadis et n’ayant rien perdu de leur savoir-faire ! L’une est une tendre et une sentimentale, l’autre une coquine effrontée en diable… Et il s’avère que, pour être fille de l’ombre, on n’en conserve pas moins le cœur inflammable et l’âme libertine ! Tout ceci se complique du fait d’une troisième jeune personne, vivante celle-là, et non moins délurée que ses rivales surnaturelles. De là un allègre jeu de chassés-croisés qui se termine le plus moralement du monde, non sans un « clou » final, qui est une folle randonnée nocturne à travers Paris, dans une Buick conduite à tombeau ouvert par une des jeunes mortes !
Pierre Bessand-Massenet a parfaitement su être spirituel en évitant les facilités de la farce. Ses petits fantômes fripons, qui se coulent dans le lit des garçons, apprennent à jouer au poker et s’amusent à « évoquer les vivants », sont les plus savoureux et les plus délicieux qui se puissent concevoir ! Qui a dit que les historiens étaient gens sévères ?…
Alain DORÉMIEUX
Première parution : 1/7/1955 dans Fiction 20
Mise en ligne le : 2/4/2025