La mode est aux petites choses et aux petites gens. « L'homme qui rétrécit », de Richard Matheson a fait surgir du passé ses prédécesseurs dus aux plumes de Maurice Renard et de Marc Wersinger, déjà affairés à lutter contre des chats ou des araignées. On tourne, en ce moment même en France, un film où il est question d'un savant qui réduit sa fiancée aux dimensions d'une poupée et qui l'égare dans une de ses poches.
Toutefois, dans cette vague de miniatures, le petit peuple, les lutins, les elfes, petites personnes singulières et malignes, au demeurant industrieuses, semblaient bien avoir été injustement oubliées. Peut-être semblaient-elles trop calmes, en une certaine façon trop normales, trop quotidiennes, pour avoir droit au coup de trompette et de projecteur de l'actualité.
Mais voilà que l'oubli est réparé, et fort joliment réparé, par Mrs. Mary Norton, avec son roman « Les Chapardeurs » (Plon).
Ces Chapardeurs, enfin, grands comme une petite souris, humains autant qu'on peut l'être, vivant dans les boiseries des demeures des hommes ou sous leurs planchers, n'ont pas d'inquiétudes métaphysiques. Ils ressemblent à de bons bourgeois anglais avec leur intérieur, leur thé, et leurs veillées. Ils vivent d'emprunter ; c'est-à-dire qu'ils s'aventurent hors de leurs retraites et qu'ils s'emparent de tous les menus biens abandonnés par les hommes. Vous ne savez pas ce que deviennent vos épingles de sûreté, vos allumettes, vos clés, vos bobines de fil, les bonbons dans les boîtes, les petits fours abandonnés sur un coin de table, voire les fonds de verres : la réponse est que les Chapardeurs doivent vivre, comme tout un chacun.
Nos Chapardeurs ont d'ailleurs une bien réjouissante conception des êtres humains. Ils estiment que ceux-ci existent pour les approvisionner. Ils considèrent l'espèce humaine avec une sorte de bienveillance non dénuée d'ailleurs d'une manière de pitié. Ils estiment qu'il serait préférable que l'espèce humaine soit un peu moins nombreuse, pourvu qu'elle satisfasse à leurs besoins tout en sauvegardant leur tranquillité.
Mrs. Mary Norton conte l'histoire d'une famille de Chapardeurs, composée de Pod, grand chapardeur devant l’Éternel, d'Homyly, réduction de ménagère, et de leur fille Arrietty, jeune personne accomplie. Cette famille entre en relation avec un garçon humain, et c'est pour elle le début d'une incroyable prospérité qui va malheureusement être sanctionnée de beaucoup d'aventures.
Le livre est peut-être écrit pour des enfants. Je n'en sais rien. Je sais seulement qu'il est amusant, frais, délicieux comme une longue et calme conversation, charmant comme une gentille broderie et que bien des grandes personnes aimeraient à être de nouveau des enfants. Je suppose que ce livre leur permettra d'accomplir ce saut dans le temps. Peut-on lui faire un meilleur compliment ? Signalons encore les dessins tout à fait amusants de Lars Bo et la traduction satisfaisante d'Anne Green.
Gérard KLEIN
Première parution : 1/10/1957 dans Fiction 47
Mise en ligne le : 16/9/2025