Robert LAFFONT
(Paris, France), coll. Ailleurs et demain Date de parution : mars 1982 Dépôt légal : mars 1982, Achevé d'imprimer : 5 février 1982 Première édition Roman, 210 pages, catégorie / prix : 55 FF ISBN : 2-221-00845-6 Format : 13,5 x 21,5 cm Genre : Science-Fiction
Ce livre conte l'histoire d'une passion.
Celle de Brian pour Kelly, une artiste, fascinante, irritante, débordant de vie et suicidaire. Cette histoire commence après la mort de Kelly.
Car, en cet avenir proche, on a percé les secrets de la mémoire et trouvé le moyen d’extraire d'un cerveau l'essence d'une personnalité. En détruisant le cerveau, bien entendu. Et il suffit de s’injecter cet extrait pour devenir l’autre, pour s'enrichir de son expérience. Passagèrement.
Ainsi est née la drogue absolue. Mortelle. Surtout pour le donneur. Les transcérébraux, derniers des junkies, chassent les têtes pour s’envoyer en songe, pour échapper à leur vacuité. Ils sont les croque-morts de l'an 2000.
Et Kelly qu’ils fascinaient a été l’une de leurs victimes. Si Brian récupère les seringues dans lesquelles dort l’essence de Kelly, et s’il trouve un support, il pourra la faire revivre et la convaincre de son amour. Mais pour combien de temps ?
David J. Skal, dont c’est le premier roman, est le plus original des auteurs de la nouvelle génération.
Critiques
Une nouvelle drogue dans la rue : la substance grise... plus précisément, des extraits de cerveaux permettant de revivre la personnalité de leur propriétaire décédé. Et, corollaire, de nouveaux fournisseurs — qui doivent tuer pour avoir leur marchandise.
Le roman met en jeu deux personnages présents et une absente, Kelly, qui l'est de moins en moins au fur et à mesure que Brian s'entête à la faire revivre au travers de Tracy, droguée ramassée dans la rue. Surprise : ce roman n'est pas une saga paresseuse, il ne lui faut pas beaucoup de pages pour prendre à la gorge, au rythme du dévoilement de la situation et de la vie antérieure des personnages. Et il cristallise la folie de Brian, la folie du conservateur qui veut figer l'art, de l'amoureux qui veut emprisonner celle qu'il aime. Car Kelly était une artiste, gibier de choix pour les charognards de cerveaux.
Splendide autant que terriblement dérangeant, ce roman va à l'encontre de bien des courants commerciaux américains. Son auteur a récidivé depuis avec un deuxième roman, When we were good (voir l'article de Jean-Daniel Brèque dans Fiction n° 326), qui est empreint de la même atmosphère de désespoir, de décomposition généralisée qui vous souffle « New York ! » à l'oreille. Skal a l'étoffe des grands — l'étoffe d'un Dick ou d'un Silverberg. Le tissu est un peu râpeux au premier contact, mais en le laissant filer vous manqueriez quelque chose.
Avant la parution de ce roman chez Robert Laffont en 1982, les lecteurs français avertis ne connaissaient Dave Skal (qui n'avait pas encore cédé à la tentation, fort répandue chez les auteurs de SF, d'insérer une initiale entre son prénom et son nom de famille) que par le biais d'une nouvelle époustouflante, Crayola, reprise dans l'excellente anthologie d'Alain Dorémieux Cauchemars au ralenti 1. Skal avait tout juste vingt ans au moment de sa publication. Ses bibliographies américaines indiquent qu'il s'est montré remarquablement peu prolixe depuis lors. S'il existe des traductions françaises d'autres textes, le moins qu'on puisse dire est qu'elles sont restées confidentielles : David Skal en français, c'est une nouvelle et un roman, point final.
Le chroniqueur, par l'odeur alléché, s'est donc jeté avec avidité sur ce court récit (200 pages... il est bien loin, le temps où le Livre de Poche SF publiait des textes aussi brefs !). L'histoire se résume en quelques lignes. Nous sommes dans un futur proche. Brian était amoureux de Kelly, une artiste fantasque. Mais cette dernière a été assassinée par un dealer qui a débité chimiquement son esprit en doses injectables, très prisées par les toxicomanes du moment. Les “transcérébraux”, ainsi qu'on les appelle, trippent en s'imprégnant de l'esprit et de la personnalité d'un autre ; inutile de dire que le cerveau tourmenté des artistes en fait des proies particulièrement excitantes. Brian s'est procuré quelques doses de Kelly, et il a convaincu Tracy, une fille un peu paumée, de servir de support à son fantasme résurrectionnel. Mais jusqu'où le simulacre sera-t-il viable ?
Roman urbain qui, écrit quelques années plus tard, aurait pu verser dans le cyberpunk, Les croque-morts se lit d'une traite, sans reprendre son souffle. Même si elle ne brille pas par son originalité, la construction en est bel et bien réfléchie : la succession des chapitres est conditionnée par l'alternance des points de vue des deux protagonistes, Brian et Tracy, auxquels s'ajoute celui de Kelly, ou plutôt ce qu'il en reste. Le style se veut nerveux, cherchant souvent à restituer le monologue intérieur des personnages. Certes, nous sommes loin de Joyce, mais cela suffit à donner un peu de corps et de rythme au récit, et nous conforte plutôt dans le sentiment que Skal est un auteur digne de ce nom. En résumé, il s'agit là d'un texte agréable, efficace, concis, mais somme toute assez peu surprenant, qu'il s'agisse du fond ou de la forme.
Au bout du compte, je dois l'avouer, j'ai été quelque peu déçu sans doute parce que j'attendais trop de l'auteur d'une nouvelle qui occupe une place de choix dans mon hit-parade personnel. Même si Les croque-morts n'est pas réellement la pépite escomptée, je n'en éprouve pas moins une tendresse particulière pour Skal (qui aux dernières nouvelles fêterait ses 50 ans cette année et serait devenu un spécialiste éminent du cinéma d'horreur)... Il est dommage que, faute d'autres textes traduits, nous soyons pour l'instant condamnés à ignorer si Crayola n'était qu'un chef-d'œuvre accidentel.
Notes :
1. Ed. Casterman, collection Autres temps, autres mondes, 1976.