Qui sait s'il s n'y sont pas déjà ? Quand on voit tout ce qui se passe...
Critiques
Depuis Facteur vie, son premier titre paru courant 79 dans la collection Fleuve Noir Anticipation, Morris a écrit dix romans, dont sept pour la seule année 80, devenant ainsi l'auteur maison le plus productif. Et aussi l'un des plus attachants. Je reconnais pourtant avoir fait la moue, à l'époque, devant Facteur vie (Voir critique dans Fiction 305), trouvant le roman peu original et reprochant au style son côté sous-San-Antonio (dû à l'alter ego de Morris, ce Vic St-Val auteur d'une soixantaine de titres parus dans la collection Espiomatic). Dix romans plus tard ces défauts sont encore présents, mais on tend nettement à les oublier devant les deux qualités principales qui caractérisent l'œuvre de Morris (car il s'agit bien d'une œuvre) : la cohérence du propos et la générosité de la pensée.
Jusque dans le choix de ses titres (qui, pour la plupart, incluent le radical « vi »), Morris est obsédé par cette question fondamentale : Qu'est-ce que la vie ? Comment différencier ce qui est vivant de ce qui ne l'est pas (Les vivants, les morts et lee autres) ? Qu'est-ce qui sépare le monstre de l'humain (... ou que la vie renaisse) ? Comment communiquer avec des entités totalement étrangères ? (Untel, sa vie, son œuvre). Cette interrogation lancinante sur la nature de la vie débouche sur le problème de l'incommunicabilité, que Morris aborde avec une générosité qui fait plaisir à lire, condamnant sans appel « ce réflexe imbécile et tellement humain qui consiste à tirer d'abord sur tout ce qui bouge et que nous ne sommes pas équipés pour comprendre ! Tout ce qui est autre. Voire simplement différent » (Soucoupes violentes, le meilleur roman de l'auteur). Car le danger est dans l'incompréhension et non dans l'autre. Il faut apprendre à vivre ensemble, tel est le message des Plasmoïdes au pouvoir. Et pourtant ces plasmoïdes — entités bioplasmiques vivant à l'intérieur du corps humain — semblent redoutables puisqu'ils sont capables de faire exploser le cerveau de l'humain porteur ! Mais ceci n'est qu'apparence...
Car nous vivons dans l'illusion, dans une société schizophrène qui pousse l'individu à exister sans vivre en scindant « l'âme et le corps, le moral et le physique, l'essence et l'apparence, le Facteur Vie et l'Enveloppe Matérielle » (Vecteur Dieu). Une société qui privilégie le factice et le clinquant, succombe à la violence (Les malvivants), s'abîme dans le culte du plaisir au lieu de rechercher l'amour (La guerre des Lovies), abdique toute volonté et se réfugie dans l'artifice d'une Vie en doses. Désormais il ne s'agit plus simplement de vivre mais de survivre, et toute l'œuvre de Morris peut se résumer dans le titre d'un de ses romans : Technique de survie. L'ennemi est en nous, il est dans notre complaisance à succomber à toutes les aliénations, dans notre désir profond d'être manipulé afin de fuir toute responsabilité.
Bien sûr, on peut parler de moralisme vieux jeu, de valeurs désuètes et passablement réactionnaires. Mais on peut aussi et surtout être sensible à cette voix chaleureuse qui, tout en nous racontant avec vivacité des histoires pour la plupart bien ficelées nous parle d'amour et de liberté. Et je veux croire que cet humanisme sincère et tranquille sera une des clés de notre survie future.
Préfaçant un roman de Faulkner, Raymond Queneau écrivait que si un romancier mettait la somme de ses expériences passées dans son premier bouquin, dans le second il mettait son expérience d'écrivain. C'est la première réflexion qui m'est venue lorsque j'ai refermé le dernier Morris (qui n'est pourtant pas, loin de là, son deuxième roman), car l'auteur n'hésite pas un instant à se mettre lui-même en scène. Pas un quelconque auteur, non ! G. Morris lui-même, « écrivain de SF » (ce qui nous vaut au passage quelques réflexions sur ce genre et ses thèmes archi-rebattus), créateur d'une série « abandonnée provisoirement au FN » (la série Vic St-Val, au sujet de laquelle il glisse également quelques pensées émues), et « écrivain d'Untel, sa vie, son œuvre, », un de ses précédents bouquins dans la série « Anticipation » dont Les plasmoïdes au pouvoir ? est la suite. Bon, le thème est celui exploité par Eric Frank Russell dans Guerre aux invisibles, ce qui ne nous rajeunit pas, et G. Morris ne contribue pas à le renouveler. Pourtant, si le premier volume ne m'avait pas du tout intéressé (à cause justement de sa parenté trop affirmée avec celui de Russel, pour ne pas dire autre chose !), ce dernier m'a plu grâce aux réflexions qui le parsèment et aux portraits tracés, comme ceux des frères Bogdanoff et de Patrick Siry, directeur littéraire au Fleuve Noir. Ce n'est donc pas un grand roman, mais, disons, un livre inclassable que j'ai davantage apprécié que les romans précédents du même auteur.