Clark frissonna. Le vent de la mort s'était levé, le vent glacé du bout du monde, issu de ces contrées inexplorées au Nord, là où la vie était impossible. Le blizzard allait souffler la neige, uniformiser le paysage et lui interdire de continuer sa progression.

     Il n'atteindrait jamais la Ville du Nord.

     Thierry Lassalle est apparu cette année parmi les auteurs du Fleuve, mais sa venue en « Anticipation » a été précédée déjà de trois titres en « Spécial Police » (Banlieue sud, Chicanos branchés et Fin de semaine). Il n'est assurément pas le seul auteur de polars à tâter de la SF, et le phénomène préexistait à la vague récente (plutôt dans l'autre sens) qui frappa la jeune génération d'auteurs français. (Dernier en date : Mondoloni). Même en oubliant l'ancien réflexe de ghetto qui rendait automatiquement suspects les écrivains non-initiés dans le petit monde SF (les auteurs de mainstream en ont assez souffert), on se demande toujours quelles sont leurs motivations et quelle part la mode peut y prendre.

     Le problème se résume en gros à l'approche qu'ont du corpus SF ces auteurs et de quelle manière ils redécouvrent souvent des évidences sans rien apporter de neuf, ou de nécessaire.

     Lassalle semble hélas choir à pieds joints dans le piège béant : Nord est une bonne histoire mais n'innove en rien. L'aventure que vit Clark, mû par le désir de vengeance dans un futur totalitaire et glacé, brode sur le motif de la quête sans véritablement donner à lire un récit prenant. Reproche majeur, donc, pour ce type de livre : il est difficile de croire un seul instant en l'importance de l'aventure narrée. Le monde décrit comme les personnages manquent d'évidence. Peu d'effet de réel, aucune identification. Or le récit fonctionne uniquement au premier degré : son absence de nécessité laisse dès lors une coque vide de sens où la création esthétique n'est soutenue par rien.

     On pourrait taxer Nord de Nième variation sur un thème. Mais même s'il innovait au plan de l'argument, Lassalle ne serait guère plus crédible : Nord botte bas car on sent chez l'auteur le simple exercice de style. Le caractère ramassé du récit conforte la difficulté du lecteur à se sentir concerné.

     La SF permet tout, et le reste. Davantage qu'aucune autre littérature, elle devrait éviter de tourner en rond. Les créations gigantesques sont là pour montrer la vastitude de l'imaginaire SF. Un faux pas ? Attendons la suite et laissons Lassalle explorer ses potentialités.

     Sans doute n'aurais-je pas dû lire Nord après Les dieux du Fleuve...