Cette planète — cette planète qu'on appelait la Terre — Mirlena l'avait toujours imaginée comme un gigantesque tombeau. Un tombeau à peine corrompu par le temps. Maintenant, au moment d'y débarquer, une sorte de frénésie lui parcourait le corps. Et puis, elle y découvrit un être humain et son esprit chancela : elle qui avait la peau noire sut que la race blanche qu'on disait disparue de l'univers existait toujours !
Critiques
Le dernier continentoppose, de la façon la plus classique, une civilisation à haut degré technologique et une autre qui en est restée (ou plutôt : qui est redescendue) au stade médiéval. Ce qui est un peu moins classique, c'est que ces deux civilisations sont toutes deux humaines, et ne se sont séparées en deux rameaux divergents qu'après la... classique guerre atomique. Mais ce qui est de nouveau moins classique, c'est que les sauvages sont les descendants de la race blanche, alors que les civilisés descendent de la race noire, qui a remonté la pente sur Mars, dans les anciennes colonies demeurées à l'abri du conflit, alors que la Terre s'enfonçait dans un âge noir de 2000 années.
Le roman de Cooper est le récit de la première prise de contact entre les « Martiens » noirs et les Terriens blancs. Cela vous dit quelque chose ? Christian Léourier, dans Les montagnes du soleil, avait utilisé ce postulat ; aurait-il lu, avant traduction, le roman de Cooper ? Il nous répondra dans le Courrier des Lecteurs... La rencontre a donc lieu en plein continent Antarctique ; réchauffé, celui-ci est couvert de forêt, et est le seul endroit sur Terre à avoir préservé un peu de vie, le reste de la planète étant hautement radioactif. Le démarrage du récit se fait selon deux voies parallèles — le « sauvage » en forêt, les cosmonautes dans leur capsule — et classiquement les parallèles se rejoignent au bout d'une courte perspective d'une cinquantaine de pages, dès lors qu'il s'agit pour l'auteur de broder sur le contact — autre thème classique de la SF. Le développement du roman insiste sur la lente découverte de l'Autre, par quelques individus qui sont chacun la représentation de leur peuple respectif, et sur le lent effondrement des barrières et des préjugés qui en découle. Le dernier continent est d'une veine très nettement pacifiste et antiraciste — même si l'originale inversion des valeurs de départ (ici, ce sont les Noirs qui possèdent le savoir et la puissance d'où, chez eux, la présence d'une importante faction d'intolérants bellicistes) introduit la note d'ambiguïté nécessaire pour échapper au manichéisme. Il n'y a qu'à lire les très belles pages rendant compte de l'amour progressif (d'abord vécu comme une folie, puis comme une expérience, puis une passion charnelle, et totale enfin) du prince sauvage blanc Kymri et de la psychologue noire Mirlena, pour être convaincu de la sincérité de l'auteur.
Voilà donc un roman discret, peu tonitruant, bien sage, mais qui recèle en lui plus qu'il n'y paraîtrait à une lecture hâtive ou au résumé de son scénario. Un sûr talent réaliste — documentaire, une poésie en sourdine, un rien d'amertume, une pincée d'humour et une chaleur communicative caractérisent Edmund Cooper — un écrivain britannique plus méconnu qu'inconnu chez nous, puisque Le dernier continent est tout de même son cinquième roman traduit, sans qu'aucun d'eux n'ait soulevé beaucoup de vagues... Profitons alors de cette parution pour recommander au moins deux des précédents : Pygmalion 2113 (J'ai lu), sur le thème de l'androïde, et Le jour des fous (Marabout), sur le thème de la fin du monde et du redépart à zéro. On y trouvera en majeur les qualités présentes ici en mineur, et on se convaincra à leur lecture que Cooper a sa place à tenir dans la SF d'outre-Manche, quelque part entre la tradition (Wyndham) et l'innovation (Ballard).