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L'Échiquier du temps

Françoise d' EAUBONNE

Première parution : Paris, France : Hachette, Le Rayon fantastique n° 99, 2ème trimestre 1962

Illustration de (non mentionné)

HACHETTE / GALLIMARD (Paris, France), coll. Le Rayon fantastique précédent dans la collection n° 99 suivant dans la collection
Dépôt légal : 2ème trimestre 1962
Première édition
Roman, 264 pages, catégorie / prix : nd
ISBN : néant
Format : 11,4 x 18,0 cm
Genre : Science-Fiction

Éditeur : Hachette.


Quatrième de couverture
Au XXXème siècle, d'autres races pensantes de la galaxie sont venues se joindre à l'Humanité pour former la grande confédération « anthropomorphique » dont le centre est sur la planète Phèdre.
  Mais une race, née d'un monstrueux croisement, possède, avec la pensée, la forme la plus hideusement opposée, à celle de l'Homme.
  Fausta, la jeune Barbare, une Terrienne de la vieille race, est-elle destinée à triompher de l'horrible menace que font peser ces Saurionnides, ennemis des genres humains ?
Critiques

    Françoise d'Eaubonne possède de l'éclectisme et de la facilité. Quelques mois seulement après « Les sept fils de l'étoile », voici que le Rayon Fantastique publie un nouveau roman de cet auteur, à la fois semblable et différent. Semblable, parce que c'est à nouveau une femme qui est au centre de l'action, et aussi parce que des événements mystérieux de l'histoire de notre globe sont interprétés à l'aide d'influences extra-terrestres ; une fois encore, Françoise d'Eaubonne se réfère – avec respect, semble-t-il – au « Matin des magiciens » de Louis Pauwels et Jacques Bergier. Différent, parce que l'astrologie n'occupe plus le premier plan du décor, et aussi parce que l'auteur a affiné ses procédés de construction. Ce progrès est particulièrement perceptible au début du livre, la seconde partie ayant apparemment été écrite de façon assez hâtive.

    Au centre, donc, une jeune fille appelée Fausta qui, un peu comme la bergère de Domrémy, va jouer un rôle capital dans un conflit. Celui-ci se déroule au trentième siècle, et oppose une confédération galactique d'êtres anthropomorphes à l'agressive race des Saurionnides. Comme Jeanne d'Arc devant Charles VII, Fausta réveille l'énergie de l'Héritier en lui révélant la légitimité de son pouvoir. Elle réussit à bouter les Saurionnides hors de la Confédération, puis est capturée par eux, condamnée à mort… Mais l'homme a appris quelques tours sur l'espace-temps en quinze siècles, et Jeanne Fausta ne finit pas comme la Pucelle d'Orléans.

    On l'a souvent dit : l'histoire se répète incessamment. Un de ceux qui l'on dit à propos de la science-fiction est Isaac Asimov. L'histoire se répète en fait à un point tel que la Confédération de Françoise d'Eaubonne évoque, à plus d'un passage, l'Empire Galactique dont Asimov avait raconté l'histoire dans sa mémorable trilogie (« Foundation », « Foundation and empire », « Second foundation »). La ressemblance ne se limite pas à tel ou tel élément du décor, ni même à la mention explicite (p. 234) d'une fondation au vaste pouvoir. Elle va jusqu'à englober une science très voisine de la psycho-histoire d'Asimov et qui, comme cette dernière, permet de prévoir les événements futurs et d'évaluer leur coefficient de probabilité. De plus, le psycho-historien Hari Seldon menait, de son passé, les vicissitudes de sa fondation ; ici, c'est un moine énigmatique qui dirige les actions de Fausta, et en prévoit le déroulement. La ressemblance est peut-être fortuite ; elle n'en demeure pas moins frappante.

    Il est cependant juste de souligner que l'optique de Françoise d'Eaubonne diffère de celle d'Asimov ; ce dernier mettait successivement en scène plusieurs protagonistes, mais son intérêt se portait avant tout sur la lutte qui opposait l'Empire et la Fondation. Françoise d'Eaubonne, quant à elle, raconte avant tout l'histoire de son héroïne. Le roman y gagnerait en cohésion, s'il n'était composé d'une succession de « morceaux de bravoure » qui se retrouvent, à quelques variantes près, dans tous les genres romanesques. Il y a ainsi la recherche du document secret dans le quartier sordide de la grande ville, la découverte des splendeurs de la métropole par la petite provinciale, le mystère qui entoure l'identité du lointain meneur de jeu, la cérémonie initiatique qui touche à l'orgie, les batailles de la terrible guerre. Bien entendu, ces réminiscences ne constituent pas, par elles-mêmes, des faiblesses. De tels passages valent ce que vaut l'écrivain et aussi ce que vaut l'ensemble dont ils font partie. Les thèmes – en science-fiction comme dans les autres formes littéraires – sont en nombre limité, et c'est leur traitement qu'il convient de juger.

    Or, le traitement est fort inégal en qualité. Françoise d'Eaubonne se tire d'affaire, dans ses descriptions de lieux et de personnes, par un torrent verbal où l'étrange abonde. Lorsqu'il s'agit de mode, le procédé peut se défendre :

    «… S'iala portait sur la tête une trompette de plumages bigarrés, le pantalon bouffant en osier tressé, les Crispins d'ivoire avec gants amovibles et les antennes d'archal ornées chacune d'une gemme au bout de sa crosse recourbée comme un panache de fougère » (p. 43).

    Lorsqu'il s'agit de science, cependant, les impuretés du feu d'artifice deviennent parfois apparentes. C'est ainsi que dans la description du « champ isolant créé par le générateur cosmodynamique » (p. 152) l'auteur utilise le mot fréquence là où il est manifestement question de distance.

    La description de la cérémonie secrète possède en revanche une certains allure, le caractère de la scène s'accordant avec les ornements stylistiques de l'auteur. Quant aux scènes de batailles, elles donnent au lecteur l'impression de la confusion (ce qui n'est pas une faiblesse) mais non celle de l'action (ce qui en est une).

    Les thèmes, le caractère des scènes qui les illustrent, étant donc en nombre limité, l'auteur a la possibilité d'agir sur l'imagination du lecteur par la combinaison de ceux-ci, par ce qu'on pourrait appeler leurs permutations. Or, précisément, Françoise d'Eaubonne n'opère pas au moyen de permutations, mais bien par juxtaposition.

    Ce n'est pas là une simple nuance de terminologie : l'auteur de « Lchiquier du temps » abandonne un ton pour un autre au gré des scènes racontées, et ne s'attache pas à donner une solidité d'ensemble à son récit. La faiblesse existait déjà – plus apparente, d'ailleurs – dans « Les sept fils de l'étoile » ; « L'échiquier du temps » marque un progrès dans le domaine de la rigueur. Dans la première partie du roman (la plus longue, puisqu'elle occupe plus de la moitié du livre), Françoise d'Eaubonne s'efforce d'attacher les ficelles de son intrigue, construisant son récit en vue d'une scène importante : la rencontre de Fausta avec le jeune héritier. Ce qui vient ensuite paraît, par comparaison, gratuit, voire inutile. Qu'il s'agisse de la capture de l'héroïne par ses ennemis ou bien de la présentation des visions d'avenir, ces éléments ne répondent pas à une nécessité véritable.

    C'est donc dans le commencement du livre qu'il convient d'en chercher les meilleures pages. Il y a là l'évocation plausible d'une société qui a survécu à d'effroyables conflits, et qui, devant les progrès accomplis par d'autres mondes, regrette sa propre grandeur passée. Au fur et à mesure que l'horizon s'élargit, cependant, l'auteur perd de son aisance. C'est malheureusement à partir du moment où l'histoire de Fausta influe sur toute la Galaxie que l'auteur lâche pied – et que l'intérêt du lecteur faiblit. L'art – ou, plus exactement, le métier – de Françoise d'Eaubonne s'exerce le mieux sur un champ limité. Les envolées cosmiques, en dépit d'efforts manifestes, ne sont pas encore dans ses cordes. C'est la raison pour laquelle ce livre déçoit le lecteur. Il lui manque l'inspiration qui fait la science-fiction de qualité ; et ce don, le métier le plus souple ne suffit pas à le remplacer.

Demètre IOAKIMIDIS
Première parution : 1/2/1963 dans Fiction 111
Mise en ligne le : 8/12/2024

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