Le passage au Fleuve Noir se révèle bénéfique pour les anciens auteurs du Rayon Fantastique. Il semble que l’atmosphère de Gallimard, l’idée que l’on côtoyait la « vraie littérature », où la S.F. se voyait admise avec une condescendance un peu réfrigérante, les guidait, et les auteurs n’osaient pas tout oser… Je me demande si là Carsac se fût déchaîné comme il l’a fait dans La vermine du lion, un de ces ouvrages qui donnent des lettres de noblesse à un genre, plein de fougue, de vie, d’allant, d’invention. Et dont l’auteur ose ne pas se prendre au sérieux, fait grouiller les spirous et les milous dans un fleuve, utilise le poison kokokolo, et parle du Rossé Moselly, la Montagne des Dieux.
De même, chez Barbet, la mutation est flagrante. Ses anciens ouvrages ne péchaient nullement du côté de l’invention scientifique, mais bien du côté récit : c’était poliment ennuyeux. Mais on sait que les œuvres ennuyeuses sont sensées être graves, et les œuvres graves les œuvres importantes, du moins chez ceux qui se prennent au sérieux et imposent leurs vues aux novices des lettres.
Cette fois, tous ces tabous sont exorcisés. Le récit devient allègre, l’humour a fait son apparition, et nous songeons aux space-operas publiés aux U.S.A. par Ace. Une planète vouée au désastre envoie dans le cosmos deux vaisseaux chargés de perpétuer la vie. L’un donnera naissance à une race de télépathes, l’autre à un monde de cyborgs.
Après des millions d’années, c’est l’affrontement des robots de chair sans morale, impitoyables par essence car ignorant les sentiments humains, et des télépathes joyeux de vivre.
Le dénouement est connu d’avance : les télépathes triompheront, au terme d’un duel plaisant à suivre. Et sans doute Barbet fait-il encore la part trop belle aux vainqueurs, il leur met trop d’atouts en main. N’importe, c’est un défaut mineur…
Jacques VAN HERP
Première parution : 1/9/1967 dans Fiction 166
Mise en ligne le : 5/11/2022