RETOUR AUX ANNEES FOLLES ?
Troisième livraison française du mois sur ma table de lecture. Deuxième participation de Claude Veillot à la série de Jacques Sadoul.
Il existe une différence fondamentale entre les romans de science-fiction et ceux s'y rattachant, de Barjavel ou Veillot, par exempte. Les premiers usent de la littérature comme pour s'excuser, les seconds utilisent la science-fiction et ils s'en excusent.
Je suppose d'ailleurs que j'aurais pu ajouter d'autres noms. Il paraît que Sternberg rejette l'étiquette et Pierre Boulle ne semble pas l'avoir jamais revendiquée
La machine de Balmer est donc un roman de presque-science-fiction qui ne manque pas d'intérêt, dont les qualités d'écriture sont indéniables, qui se lit avec un plaisir rappelant un peu celui que l'on ressent avec Chase ou Gustave Lerouge (ce dernier partage d'ailleurs, avec divers, autres, les honneurs de la dédicace du livre) mais qui laisse un goût étrange qui ne vient pas d'ailleurs sur les papilles gustatives de l'amateur invétéré.
Pourtant Veillot met le paquet : organisation secrète, agents non moins secrets, important personnage de la phynance, machine à leurrer jusqu'à son créateur, amour fou et Sydney Bechet. Peut-être est-ce d'ailleurs cette accumulation qui nuit à un ensemble trop bien huilé. L'idée de la machine était plus folle que le traquenard dans lequel l'auteur tente d'entraîner le lecteur. D'où vient alors qu'elle soit ressentie comme un désamorçage ? Faut-il mettre en cause le Temps, ce Temps rendu trop sérieux par les successeurs de Fredric Brown ?
Le retour factice aux années folles des romans à 1 franc 25 et des fascicules illustrés, l'utilisation de procédés qui n'auraient pas désavoués les Louis Noir, Norbert Sevestre et Georges Clavigny, ne convenaient peut-être pas à un style dépouillé des outrances de ces prédécesseurs. Les personnages eux-mêmes manquent de conviction comme si la caricature avait été gommée par un excès de scrupule. Le monde souterrain que l'on peut rejoindre depuis une station du R.E.R. n'apparaît donc plus que comme un remake un peu trop policé de quelque Fantomas. Et c'est dommage !
Dommage parce que Veillot semble s'être amusé à écrire un roman sans les alibis traditionnels sociologiques ou politiques et même purement littéraires. Simplement peut-être, il y avait opposition entre l'écriture et le sujet.
Cela dit, il ne faudrait pas en conclure que LA MACHINE DE BALMER est un roman raté ou un échec pur et simple. Je crois que Veillot est passé de peu à côté d'un chef-d'œuvre. Et je rends hommage à cette tentative car il fallait oser risquer la retrouvaille avec un genre défunt.
Jean-Pierre FONTANA (site web)
Première parution : 1/6/1978 dans Fiction 291
Mise en ligne le : 9/7/2010