Le Portail s'ouvrit devant lui ; comme un spectre, il prit son essor dans l'atmosphère blafarde. Sa jubilation croissante voulait être proclamée d'une voix semblable à mille trompettes. Il oublia le chétif être humain du nom de Pol Detson, dont il avait peut-être rêvé jadis. D'un coup d'ailes, il fendit les ouragans. Il poussa un cri de triomphe et sa statue vola en éclats. Partout où passait son ombre, des bâtiments s'écroulaient et ses adorateurs déclinaient et mouraient. Nyalith s'éleva devant lui comme une tour de flammes sombres. Ils se rencontrèrent par-dessus l'océan calmé, se lancèrent dans la danse qui leur ferait faire le tour du monde. Les étoiles tombaient autour d'eux comme des âmes en feu, leurs mouvements se faisaient toujours plus sauvages, tandis que Talknè, Serpent des Eaux Calmes, terminait son voyage de dix mille ans et surgissait des profondeurs pour se mettre en quête de lui…

 

Roger Zelazny, né en 1937, est l'un des plus brillants stylistes de la S.F. américaine. Un superbe Livre d'Or lui a été consacré par Marcel Thaon. L'Enfant tombé de nulle part, une de ses œuvres maîtresses, trouve avec Franc-Sorcier une suite très attendue.

     Pol Detson a été rappelé du monde où, encore bébé, il fut jadis exilé. Il possède des dons de sorcier mais il n'a pas suivi la formation académique. Néanmoins, il décide de postuler à l'initiation, malgré les dangers qui guettent tous les francs-sorciers, c'est-à-dire les sorciers autodidactes. Il sait qu'une menace pèse sur lui, on l'a déjà attaqué dans son château de Rondoval mais il ne sait pas qui. Plusieurs partis essaient de le manipuler. Dans quelle direction ? Il l'ignore. Jusqu'au moment où il se fait enlever, justement au cours de son initiation. Il comprendra alors qu'il est le jouet des anciens alliés de son père, l'un voulant lui faire ouvrir une porte sur un monde démoniaque, l'autre cherchant à l'en empêcher. Et qui est cette créature qui s'immisce dans le récit, qui dit je et qui ne connaît pas son nom, ni même sa nature ? Ne serait-ce pas une terrible malédiction ?

     Après L'enfant tombé de nulle part, nous voici de retour dans une Héroïc-Fantasy pure et dure, dans un milieu connu et peut-être un tantinet trop banalisé. Mais le style est bon, l'imagination de bonne facture et la lecture agréable. Le cycle de l'Enfant de Nulle Part est maintenant bel et bien commencé et la suite est déjà préparée, le dénouement proposant les clefs du tome à venir.

     Franc-Sorcier se révèle moins fort que le précédent volume, car moins original et par conséquent plus classique. La lutte entre sorciers n'a plus l'attirance que pouvait éveiller le combat entre la magie et la science, thème que pouvait éveiller le combat entre !a magie et la science, thème qui dispose à mon avis d'un avenir intéressant, pour peu que les auteurs daignent s'en préoccuper. Ceci dit, il s'agit d'un bon roman. L'intérêt ne fléchit que rarement, surtout quand les affrontements directs entre sorciers s'éternisent un peu. Mais ce sont là des détails qui ne mettent pas en péril l'équilibre de l'histoire. Zelazny est un maître-conteur. Il demeure l'un des rois de la saga au même titre que Vance, Tolkien ou Leiber.

     Quand les cycles sont brillants, on ne peut en condamner le procédé. Ils offrent des étendues que le roman unique ne peut explorer, mis à part le roman-fleuve qui propose déjà un cycle à lui tout seul, un espace et une palette de personnages époustouflants. Bien sûr, en contrepartie, le cycle risque de lasser, de s'essouffler, de se dissoudre dans des linéaments de moins en moins contrôlés et de plus en plus pesants.

     Avec Zelazny, les risques encourus sont faibles. Peut-on en dire autant de certains ex-grands-maîtres de la Science-Fiction ?