Au sein vaste et maternel du Fleuve Noir Anticipation, les auteurs qui signent J. et D. Le May sont certainement les plus bucoliques, les plus « rousseauistes ». Un de leurs meilleurs ouvrages passés. Arel d'Adamante, décrivait déjà l'odyssée en pleine nature d'un jeune homme qui découvrait une planète semi-aquatique. Les montagnes mouvantes reprend ce même décor d'un monde sauvage où bêtes et éléments hostiles bruissent et se meuvent en liberté, menaçant l'existence frêle et tragique d'un débris d'humanité pourchassé, à la différence près que, cette fois, c'est sur une Terre postatomique du XXXe siècle que nous nous trouvons. Rien ne reste à sa surface de la civilisation engloutie par un cataclysme nucléaire qu'on devine sans qu'il soit clairement évoqué, à l'exception de quelques cavernes artificielles qui sont peut-être d'anciens abris antiatomiques et où les survivants, fragmentés en tribus portant des noms évocateurs (les Alertes, les Canons, les Fusées...), se terrent entre les expéditions de chasse et les guerres tribales.
Les noms mêmes des hommes rappellent les terreurs et la science passés : Atome le Scienceux, Lectron le Griot, Eclair, Etoile, Kasseur le Fort. Une vieille légende, qui voudrait que les Anciens soient partis vers les étoiles, rôde encore parmi les tribus, mais c'est bien tout ce que l'auteur nous livre de cette Terre irrémédiablement balayée qui fut la nôtre. En fait, mis à part ces résidus mémoriels, tout le décor et l'action des Montagnes mouvantes sont très « préhistoriques » ; J. et D. Le May ont refait une espèce de Guerre du feu, en très mineur évidemment, mais avec un effort d'évocation assez bien réussi. Les volcans qui crachent épisodiquement le feu, la mer (les montagnes mouvantes du titre) qui envahit peu à peu les vallées (pourquoi ? Ce n'est pas très clair ni très convaincant) sont des ennemis impossibles à combattre, mais les animaux (taures, crics-jaunes, loups) sont l'occasion de nombreuses batailles où l'homme peut montrer sa suprématie...
Le récit est axé sur la classique initiation, sur le rituel des épreuves imposées à un jeune homme de la tribu des Alertes, Criss, pour que ses pairs puissent reconnaître en lui un homme fait. Au cours de la chasse qui constitue l'essentiel de l'épreuve, Criss rencontre une autre tribu (celle des Fusées), plus pacifique, plus évoluée, plus démocratique dans ses rapports d'individu à individu, et il s'y intègre finalement, son groupe ayant été annihilé par un cataclysme.
Le livre présente deux points faibles. Le premier est la différence un peu trop schématique, un peu trop manichéenne, entre les deux tribus qui sont les deux extrémités de l'itinéraire spirituel de Criss. Le second, plus grave, tient évidemment en l'extrême minceur du sujet. Une nouvelle aurait été à l'aise sur ce maigre squelette mais, s'agissant d'un roman de 240 pages en caractères assez petits pour un Fleuve Noir standard, le récit n'évite pas la monotonie. Les auteurs s'en tirent par l'énoncé de péripéties toutes semblables et par des descriptions de paysage qui ne manquent pas de souffle mais souffrent de répétitions. Quoi qu'il en soit, comparé à ses frères de collection, les montagnes mouvantes est d'un assez bon niveau. Dommage qu'à trop vouloir tirer sur leur corde, les auteurs n'aient pas su éviter au lecteur un certain ennui.
Denis PHILIPPE
Première parution : 1/7/1971 dans Fiction 211
Mise en ligne le : 15/1/2002