ALCHIMIE DU MALHEUR
On se demande par quel mystérieux miracle le livre de Paul Béra a eu droit à une très belle et très intelligente illustration de couverture, alors que tous les autres doivent s'accommoder de gros astronefs déglingués, pourris ou éclatés. En tout cas, c'est un coup de chance que Nuit d'émeute méritait bien. Avec le titre noir sur bande rouge, on a la plus heureuse adéquation jamais réussie au Fleuve noir entre contenant et contenu. Lisons la présentation sur la quatrième de couverture. Le miracle se poursuit par un résumé simple, net et fort, d'une histoire simple, nette et forte.
« L'homme n'existera plus, ou si peu, dans la société à venir (...). Les rares individualistes seront broyés par les projecteurs laser ou par d'archaïques mitrailleuses, pour avoir tenté de s'opposer au règne de la machine et à la suprématie d'une classe de technocrates... Ce récit retrace l'histoire de l'un de ces fanatiques de la liberté... Et il se termine mal pour le fanatique... et pour la liberté. » Nuit d'émeute (FN n° 820).
Le meilleur Béra depuis
Planète polluée ? Oui, et il me semble : le meilleur livre d'un auteur qui en a écrit plus que n'importe qui à ma connaissance, depuis bientôt quarante ans qu'il gagne sa vie avec sa machine à écrire sous une douzaine de pseudonymes.
Un roman très actuel, très moderne/qui marque avec une très profonde sensibilité le point où, dans le cœur humain ou dans la conscience sociale, le désenchantement vire au désespoir. Cette alchimie du malheur se prépare autour de nous. Alerte !
« Il y a trente, quarante ans, tout allait de travers. Des gens mouraient de faim, d'autres s'empiffraient. Tous les vingt ou trente ans, une guerre pour des prétextes de sotte susceptibilité nationale. Des démocraties qui vacillaient dans leur pourriture, des dictatures qui se débattaient dans l'horreur, » p. 25). Où ? Quand ? Ici, maintenant. L'ombre qui plane est celle de l'histoire.
Michel JEURY
Première parution : 1/3/1978 dans Fiction 288
Mise en ligne le : 5/2/2011