Entre décembre 1956 et mai 1959, Stefan Wul a fait paraître 11 romans, tous au Fleuve Noir. Trois ont été réédités par Robert Kanters à l'époque où il dirigeait Présence du Futur : Niourk, Oms en série et Rayons pour Sidar. Trois autres ont été réunis en un seul volume de la collection Ailleurs et Demain/classiques : Le temple du passé. Piège sur Zarkass et La mort vivante1. Quant aux titres restants, ils font actuellement l'objet d'une réédition dans la collection Lendemains Retrouvés du Fleuve Noir. Ainsi, après Retour à O, Terminus 1, La peur géante et en attendant Odyssée sous contrôle (à paraître en janvier 1979), voici que nous revient L'orphelin de Perdide, certainement un des meilleurs Wul.
Ce qui intéresse Wul c'est avant tout le décor, l'atmosphère. Sur une intrigue qui lui sert de fil directeur — bien lâche, parfois — il s'ingénie, selon ses propres termes, à « mettre de la couleur », comme un musicien qui se préoccuperait fort peu du livret d'opéra : « Ce qui m'intéresse, ce sont les cymbales, une ambiance, voilà, un climat... » 2L'orphelin de Perdide est l'heureuse adéquation entre ce climat recherché (succession de visions hautes en couleurs : Perdide la maléfique, Devil — Bail la magnifique...) et surtout une merveilleuse idée de SF. Certes, comme le remarque Jean-Pierre Andrevon dans son étude sur notre auteur 3, certaines scènes apparemment « ne sont là que pour étirer à la dimension d'un roman un sujet mieux fait pour la nouvelle ». Ainsi de l'épisode sur la planète Gamma 10 avec Vano, ses brigands et la « Grosse chérie » du Maître, immonde monstre échappé du très riche bestiaire wulien. Mais comment reprocher au futur auteur de Noô, dentiste normand lassé de la « dentisterie », ces plongées hors du quotidien, ces instants de fantastique arrachés à la monotonie d'une existence vouée à la prévention des caries ?
« Sur Perdide, planète soumise à la marée saisonnière de frelons à la piqûre mortelle, un enfant de quatre ans, Claudi, est abandonné, ses parents morts, avec pour tout bagage un micro à ondes instantanées qui le relie à Max, corsaire du vide au grand cœur, ami de son père. L'aventurier, forçant l'allure de son astronef, essaye, en compagnie de Silbad, son vieux compagnon de route, de sauver l'enfant 4. Thématique chère à Wul de l'individu en butte à un environnement hostile. Suspendu au micro, Silbad essaie de déjouer les pièges que la perfide Perfide tend à Claudi, lui parle, lui raconte des histoires, lui chante des chansons à boire. Emouvant dialogue qui relie, par-delà l'espace des générations et les années-lumière de distance, le vieil homme et l'enfant. Eternelle complicité des âges extrêmes de la vie que Wul, à la fin du roman, confond en un raccourci fulgurant, stupéfiante idée qui boîte bien un peu du côté de la logique (les ondes ne peuvent pas à la fois être instantanées et se déplacer à la vitesse de la lumière) mais combien extraordinaire sur le plan de l'imaginaire ! Une réédition qui s'imposait.
Notes :
1. Repris par Pierre Versins dans sa série des Chefs d'oeuvres de la SFparue aux éditions Rencontre. Signalons que Piège sur Zarkassa fait l'objet d'une autre réédition chez Presses Pocket. 2. Interview de Stefan Wull par F. Truchaud (Galaxie 80). 3. Stefan Wull ou la grandeur de l'évidence(Fiction 229). 4. Merci Jean-Pierre pour cet excellent résumé que je te pique sans vergogne !