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Le Prophète

Marianne ANDRAU



DENOËL (Paris, France)
Dépôt légal : 1955
Première édition
Roman, 340 pages, catégorie / prix : 780 F
ISBN : néant
Format : 14,0 x 20,5 cm
Genre : Fantastique


Pas de texte sur la quatrième de couverture.
Critiques

    Il n'est pas encore trop tard pour parler du second roman de Marianne Andrau, « Le prophète » (Denoël). Comme le précédent (« Les mains du manchot »), il adhère ouvertement au fantastique et en tire la matière de copieuses évocations. Comme lui également, il appartient à la catégorie de ces livres estimables et un peu ennuyeux envers lesquels il est difficile de se montrer sévère : ils représentent un tel effort !

    Les défauts de Marianne Andrau sont de ceux qui ne passent pas inaperçus : une prolixité fluviale, l'absence de tout canal conducteur pour domestiquer ce flot, la grisaille d'un style tarabiscoté et sans élégance. Chose plus grave, elle ne semble pas posséder de réel tempérament fantastique. Elle n'est pas guidée par l'inspiration. Il y a quelque chose de laborieux et d'appliqué dans ses allégories et ses fantasmagories – d'appliqué jusqu'à la naïveté… Non qu'elle soit à court d'imagination ! Mais cette imagination même, le processus de son fonctionnement, font scolaire. Cela manque de spontanéité. Il est dommage pour Marianne Andrau qu'elle soit si peu poète.

    De même que « Les mains du manchot », néanmoins, « Le prophète » est un livre à lire. On peut préférer à ce bloc de lave pétrifiée quelque pépite soigneusement polie ; cependant à creuser la lave on découvre un noyau incandescent qui jette de beaux feux. Édifice marmoréen, soit… mais les veines de ce marbre charrient du vrai sang. 

    Un pays fabuleux, une forêt de décor de théâtre où s'enchâsse comme dans un écrin un mystérieux lac enchanté, une femme énigmatique et fatale surgie de nulle part ou d'un autre « plan », un jeune homme ancré dans le réel, le quotidien, et son père qu'un don prophétique hante et fait osciller entre deux mondes – trois êtres liés et écartelés par des forces contradictoires, éléments d'un triangle qui passe par le ciel, la terre et l'eau… le spirituel, le corporel et le mental ; et, dans un climat de catastrophe imminente, où couvent l'amour et la mort, où le destin menace de faire éclater la gangue qui l'emprisonne, se poursuit la quête du Prophète à la découverte de lui-même, jusque dans l'univers symbolique qui s'étend au-delà des profondeurs du lac, jusque dans la mort, qui est le but et la lumière.

    Malgré la parfois gênante absence de construction, le déroulement de l'ouvrage présente des aspects insolites prenants. Et l'envergure de ses données en impose. Mais il est peu convaincant dans sa dernière partie : le voyage dans le Khande, le monde d'après le Lac Gris. Les visions extraordinaires ou démentielles qui se succèdent là, comme autant de morceaux de bravoure, ont une allure fabriquée. Et il y a dans l'élaboration de ces visions un côté statique qui engendre la monotonie, comme dans « À la recherche de Kadath », de Lovecraft.

    Cependant l'arme de l'auteur est l'ampleur et la richesse de ses tableaux. Il vient un moment où l'on est forcé, sinon de s'en éprendre, du moins d'en sentir le poids. Si l'on osait, on dirait que c'est de la « grosse artillerie ». Et avec cette sorte de tir nourri, il y a forcément des projectiles qui font mouche.

    En définitive, voilà le genre de livre pour lequel il semble impossible d'éprouver autre chose, même si on l'admire, qu'une admiration raisonnée et parfaitement de sang-froid. Admiration appréciative pour la fécondité certaine de la pensée, l'assurance de la mise en Œuvre, la robustesse de la charpente. Mais pas de transports, pas de coup de foudre ! On ne se sent pas personnellement atteint.

    C'est que, chez Marianne Andrau, rien ne coule de source. On ne peut pas croire qu'elle ait choisi d'accomplir de telles entreprises romanesques, dans une perspective si spéciale, sans obéir à une nécessité intérieure (il est même tentant d'y voir, dans certains détails, le résultat d'un mécanisme freudien !). Mais on ne le dirait pas tant non œuvre a un caractère prémédité. Ce n'est pas une visionnaire. Elle travaille à créer de l'irrationnel avec un esprit cartésien. C'est une cérébrale. Que n'a-t-elle un peu de fantaisie à laquelle se laisser aller !

Alain DORÉMIEUX
Première parution : 1/4/1956 dans Fiction 29
Mise en ligne le : 21/4/2025

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