Ce roman est branché en prise directe, en ce qui concerne la situation de base et les décors, sur 2001, odyssée de l'espace, film de Kubrick qui n'a pas fini de susciter des copies plus ou moins conformes. Nous sommes en effet à bord d'un vaisseau interstellaire lancé de la Terre en l'an 2370, un vaisseau qui doit gagner une étoile distante de trente années-lumière, qui comporte un équipage mixte de six humains et qui est dirigé par un cerveau électronique nommé Zol. Perturbé par la traversée d'un orage magnétique, le cerveau se dérègle, devient « fou » et décide de trucider l'équipage en un suicide collectif, c'est-à-dire l'écrasement sur une des planètes de Proxima Centauri.
Et, en fait, le vaisseau s'écrase réellement. Mieux : il s'est déjà écrasé lorsque le roman commence, et toute l'histoire n'est qu'un flash-back d'événements vieux de 150 ans et reconstitués par des Siks, explorateurs extra-terrestres qui ont trouvé l'épave et, ayant découvert dans les débris la « boite noire » où était consigné le voyage, sont capables de le reconstituer par projection tridimensionnelle. On voit que, déjà, M. A. Rayjean s'éloigne de Kubrick... Et le roman prend toute son ampleur lorsque les Siks s'aperçoivent que leur projection est si parfaite qu'ils ont véritablement redonné vie à des « doubles » des six explorateurs terriens, lesquels revivent ainsi une vie fictive 150 ans après l'accident qui a causé leur mort et découvrent le double de leur vaisseau écrasé au sol, ainsi que leurs propres cadavres, réduits à l'état de squelettes. Naturellement, ce postulat de base est légèrement farfelu et n'est étayé par aucune logique parascientifique sérieuse ! Mais, à vrai dire, cela n'a aucune importance, et l'on est suffisamment émoustillé par la lutte des Terriens (qui, avec l'aide des Siks, essayent de changer le passé pour échapper à la mort) pour passer sur l'invraisemblance de la situation.
Après un certain nombre de péripéties, les doubles finissent donc par découvrir la folie de Zol, le déconnectent et éloignent le vaisseau de Proxima Centauri, échappant ainsi à leur sort — mais sans le savoir, car, une fois la trame temporelle rétablie, ils ne gardent plus aucun souvenir de leur vie dédoublée... Si on passe sur une écriture sèche et terne (la narration au présent de l'indicatif et à la troisième personne du singulier n'a jamais été propice aux figures de style), voilà un roman qui se lit vite, avec un demi-sourire amusé pour le tour de passe-passe temporel de M. A. Rayjean, auquel on ne comprend pas grand-chose (et on soupçonne l'auteur de n'y avoir pas compris grand-chose non plus...), mais qui n'affecte pas outre mesure cette heure et demie de lecture, acquise pour la somme modique de 4,10 F, soit sensiblement moins qu'une place de cinéma...
Denis PHILIPPE
Première parution : 1/7/1971 dans Fiction 211
Mise en ligne le : 15/1/2002