La septième saison de Pierre Suragne (encore un nouvel auteur surgi dans le courant du Fleuve Noir) est un de ces romans vigoureux que la collection « Anticipation » accepte depuis peu dans son sein. Vigoureux et, pourrait-on dire (au risque de le desservir auprès d’une certaine catégorie de lecteurs), « engagé ». Non qu’il s’agisse là d’un ouvrage politique : au Fleuve, nous n’en sommes pas encore là… Cependant le sujet de La septième saison est formé par la réunion de deux thèmes très actuels : la pollution et le colonialisme, considérés comme deux pièces à mettre au dossier d’accusation de la race humaine.
En 3096, les derniers Terriens quittent une Terre ravagée par la pollution. « La Terre est morte. Pourrie, sèche, empoisonnée. Par les guerres et notre façon de vivre en temps de paix, je sais. Les arbres meurent, avec la végétation. Les mers meurent, la terre meurt. Je sais : nous avons parfaitement su tuer à petit feu notre vieux globe. » (page 41). L’émigration vers Larkioss, monde terrestroïde situé dans une autre constellation, a débuté 200 ans auparavant. Et une civilisation semblable à celle de la Terre a déjà été édifiée sur ce nouveau monde, qui ne présentait qu’un ennui : il était déjà habité par une race humanoïde, primitive et pacifique. Problème vite résolu : « Nous les avons massacrés, net. Au laser et à la bombe bactériologique. Ils étaient trop nombreux, sur leur planète si belle. Et ils n’avaient même pas inventé les armes. Nous, là-bas, sur notre vieille Terre pourrissante, nous étions prêts à crever lentement, nous enfantions des monstres, nous nous cassions la gueule rituellement à coups de bombes N. C’était trop beau, non ? Cette sœur jumelle de la Terre peuplée d’imbéciles sans lois, sans régime social précis, sans armes, sans gaz et électricité, sans rien. Les grands sentiments, ça se balaie vite quand c’est nécessaire. Et puis, ces Larkiossiens, était-ce même des hommes, après tout ? N’était-ce pas, plutôt, de pâles animaux, à peine doués d’un curieux instinct ? » (page 43).
En 3096, la plupart des Larkiossiens survivants se sont intégrés et travaillent dans les usines terriennes, tandis que quelques milliers d’irréductibles se terrent dans des « réserves » souterraines, où ils survivent péniblement en conservant leurs coutumes et leurs croyances, ces dernières étant retransmises oralement par les anciens aux jeunes générations (ce qui nous vaut, sous la plume de Suragne, de fort jolies pages consacrées au récit de la « Bible » larkiossienne).
L’essentiel du roman est cependant consacré à la révolte de la planète elle-même qui, véritable entité cosmique réveillée par l’esprit collectif des Larkiossiens (ils sont télépathes), broie les cités terriennes sous un véritable rouleau compresseur de boue vivante qui laisse derrière lui des prairies et des forêts à la place des villes de béton et de métal. La majeure partie des envahisseurs meurent, sauf certains qui, parce qu’ils étaient des esprits purs secrètement dégoûtés par la cruauté de leurs concitoyens, se transforment en Larkiossiens à part entière, « au corps blanc et à la chevelure flamboyante ».
On voit que, comme il y a quelques mois Jacques Hoven dans Adieu Céred, Pierre Suragne choisit délibérément de nous montrer les humains comme des « méchants ». Il n’est pas question, je le répète une fois encore, de louer un ouvrage sur ses seules intentions. Mais il me semble utile de signaler cette mutation qui s’opère au Fleuve Noir par l’admission dans la famille de nouveaux auteurs à l’esprit moderne et au talent contestataire. C’est là le signe d’un mûrissement, d’un passage à l’âge adulte, dont beaucoup de lecteurs français refusent encore de créditer la collection « Anticipation ».
Pour en revenir à La septième saison, il est bon d’ajouter que ce dernier ouvrage est très correctement écrit, et bien découpé en trois actions parallèles qui nous permettent de suivre la tragédie planétaire selon trois points de vue : celui des Larkiossiens, grâce à Niaok, un enfant à la fois « mort et vivant » qui sert de catalyseur aux forces obscures de Larkioss ; celui des dirigeants terriens avec Sien Muol, chef des armées d’occupation ; celui des hommes purs enfin, avec Nolis, médecin qui se dévoue à soigner les mutants consécutifs au carnage atomique perpétré autrefois par ses frères de race et qui, bravant les interdits, aime une Larkiossienne, dont il fait sa compagne une fois touché par la transmutation finale.
Ce roman tragique, mais aussi tonique et généreux, fait parfois penser à Stefan Wul (par l’ampleur de la vision) et parfois à Barjavel à cause de son humanisme pessimiste), Barjavel à qui il est fait allusion à propos d’Elea et Paîkan, les deux héros de La nuit des temps qui, en 3096, sont aussi célèbres que Roméo et Juliette ! Sans doute Pierre Suragne ne possède-t-il pas la maîtrise de ses deux aînés, mais voilà un nom dont il faudra surveiller attentivement l’apparition sur les couvertures de la collection « Anticipation ».
Denis PHILIPPE
Première parution : 1/9/1972 dans Fiction 225
Mise en ligne le : 1/3/2019