La mode est actuellement aux trilogies (voire aux tétralogies ou aux sagas non-stop !) et il faut bien avouer que cela ne répond que trop rarement à une nécessité interne de l'œuvre... Le phénomène est encore plus visible avec la vogue des suites et le principe en est d'une simplicité à toute épreuve : si le premier roman a été un gros succès commercial, le directeur de collection et/ou l'éditeur réclame une nouvelle et lucrative tentative ; c'est ainsi que
La grande porte se prolonge par
Les pilotes de la grande porte 1 et que
Dune aboutit en fin de course à
L'empereur-dieu de Dune 2.
Avec Shon'Jir, second volume de la trilogie de Soleil mort, C.J. Cherryh démontre de façon éclatante qu'elle se situe dans une tout autre logique ; Daniel Walther, dans sa préface à Kesrit, affirme d'ailleurs à juste titre que si « la loi des séries ne pardonne pas en matière de fantastique et de SF », la trilogie de Soleil mort relève de ces « œuvres qui se présentent en tant que telles, c'est-à-dire qui osent aller, tout risque calculé, au bout de leur propos ».
Loin d'être inférieur à Kesrit, Shon'Jir s'inscrit sans heurt ni baisse de tension dans la trilogie de Cherryh ; la construction de l'œuvre est tout à fait nette : le premier volume se déroule sur la planète Kesrit (point de confrontation des trois races en présence), le troisième sur Kutah (monde d'origine des mri) et le second dans l'espace (entre-deux-mondes, où s'exprime le thème central du passage).
Shon'Jir, c'est donc le passage. Passage entre deux univers (Kesrit et Kutah) et deux histoires séparées, mais aussi passage pour Duncan, l'humain ami des Mri, qui va aller bien au-delà de ses engagements initiaux, changer de statut, de mentalité et même de façon d'agir. C.J. Cherryh réussit parfaitement la fusion du space opera traditionnel et du roman psychologique ; elle parvient ainsi, alors qu'il ne se produit que fort peu d'événements tout au long des deux cents pages centrales du roman (c'est lors des chapitres d'introduction et de conclusion que l'action se fait rapide), à rendre son récit aussi passionnant que convaincant.
La SF de Cherryh en général, et cette trilogie en particulier, est aux antipodes de la SF que j'apprécie d'habitude. Elle me paraît néanmoins très supérieure à la majeure partie de ce qui s'écrit aujourd'hui.
Mieux :
Shon'Jir,
après
Kesrit, contribue à faire de
Soleil mort plus qu'un bon livre
3 ; ce n'est sans doute pas un chef-d'œuvre, mais c'est déjà presque un grand space opera ; attendons
Kutah pour tirer un bilan définitif de cette entreprise d'envergure.
Notes :
1. La reprise du titre initial, c'est mille ventes de plus !
2. Critique dans Fiction n° 333.
3. Critique de Kesrit dans Fiction n° 342.
Stéphanie NICOT (lui écrire)
Première parution : 1/12/1983 dans Fiction 346
Mise en ligne le : 15/2/2003