« Sur le chemin du collège, j'ai rencontré mon Eternel Passant. (...) Il avait manifestement grimpé les échelons avec succès, sans être encore arrivé cependant à la voiture particulière. »
Où peut-on trouver pareille notation, sinon dans un roman soviétique, qu'il soit ou non de SF ? Le lecteur occidental prendra ainsi un malin plaisir à traquer dans le texte tous ces indices semés (exprès ou sans malice) par lesquels il touchera du doigt cette réalité fascinante et mystérieuse qu'est le quotidien du monde du goulag. Et c'est bien ce qui fait le charme de la première moitié du court roman de lourev, où d'ailleurs l'humour ne manque pas. Les démêlés de ce petit professeur d'anglais (assailli par les rêves des paysages, qu'il croit être la manifestation d'intelligences extraterrestres) avec sa femme, ses collègues et l'administration, ne manquent pas de piquant, de pittoresque.
Hélas, le livre est de ceux qui se détruisent inexorablement à mesure qu'ils se déroulent, pour ne laisser subsister à la fin qu'un petit tas de poussière : les rêves restent au niveau du banal cliché sur des décors jamais vus autrement que baignant dans une « lumière ambrée », les intelligences finissent par se taire, parce qu'un autre rêveur, une Américaine, a vendu ses visions à une chaîne de publicité, et que les extraterrestres, abasourdis par tant de bassesse, ont rompu le contact ! Qu'un auteur qui paraissait posséder une certaine finesse chausse de si gros sabots satiriques (ou idéologiques) laisse pantois. Mais cette prudence (qui se retrouve d'ailleurs au niveau du quotidien : le professeur, qui ne cesse de trouver sa femme assommante et rencontre une ravissante divorcée, finit in extremis par retourner au foyer conjugal) n'est-elle pas le signe d'une impuissance fondamentale à exprimer « l'ailleurs » ? La dernière phrase du roman est : « Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai l'impression que notre attente ne sera pas vaine. »
Outre qu'on ne voit pas quoi attendre d'extraterrestres aussi paranoïaques, c'est dans le corps du roman que l'attente aurait dû prendre fin, comme chez Lem ou Clarke.
Jean-Pierre ANDREVON (lui écrire) (site web)
Première parution : 1/12/1983 dans Fiction 346
Mise en ligne le : 10/5/2002