Pour Les trophées de la cité morte, J. et D. Le May reprennent le décor utilisé dans Les montagnes mouvantes, un de leurs précédents ouvrages : une Terre du futur dévastée par une guerre atomique déjà lointaine, et dont les habitants, groupés en Clans, revivent une nouvelle préhistoire, ayant totalement oublié leur passé planétaire. Le présent ouvrage est centré sur un duel opposant un homme et une femme du Clan de Sul à deux membres du Clan rival de Ho, la rencontre ayant pour but de ramener de la Cité Morte un trophée fabuleux, en l'occurrence la dépouille d'une Chimère.
Sur ce canevas extrêmement simple, J. et D. Le May se sont livrés à des variations qui leur sont familières et à l'exploitation de thèmes qu'ils creusent et décantent avec une grande constance de roman en roman. On reconnaît d'emblée ce goût du décor à ciel ouvert, du « plein air » et de la nature qui plaît tant aux auteurs, et cette passion pour la description de héros au cerveau fruste ayant à lutter pour conquérir un monde sauvage, mais n'en gardant pas moins au fond d'eux-mêmes un sentiment de la justice qui les défend contre tout excès de violence. On peut dire que J. et D. Le May sont les humanistes de la nouvelle préhistoire...
Quant au thème proprement dit du récit, il est axé sur l'épreuve (qui permet aux individus concernés de braver les interdits séculaires et donc d'avancer dans la connaissance du monde), alliée au voyage : à la fin. Ion, Sri Ea et leurs deux adversaires devenus amis atteignent la mer. simple ligne étincelante à l'horizon, un peu comme les deux héros du beau film de John Huston, Promenade avec l'amour et la mort. Des notations intéressantes viennent en outre donner du relief à l'ouvrage, comme la description des Clans soumis à une rigide loi matriarcale, mais où les élus (ayant sans doute acquis des facultés supranormales par mutations) domestiquent la « lumière Ma » et sont capables de « fliter » — c'est-à-dire d'user d'une capacité limitée de télétransport. Les Chimères, elles, sont des sortes de robots monstrueux habitant une ancienne cité, aux ordres peut-être d'une autre race humaine dégénérée... Nous n'en saurons pas plus, et j'hésite à me prononcer sur ce manque d'information : faut-il regretter que les auteurs n'aient pas explicité davantage, ou au contraire faut-il apprécier le voile de mystère qu'ils laissent sur leurs créatures ?... Chacun jugera.
Tout ceci serait donc fort bien s'il n'y avait pas, refroidissant un peu notre plaisir, le défaut majeur de J. et D. Le May : la lenteur. Le sujet des Trophées de la cité morte est en effet d'une extrême minceur pour un roman de 230 pages, et il n'est pas sûr que les longues descriptions de poursuite, d'errance et de batailles (ainsi que les vastes dialogues qui les entrecoupent) ne soient pas à la longue lassantes.
Mais qu'on se rassure : si le bilan n'était pas, en fin de compte, positif, je n'aurais pas consacré plus que quelques lignes à ce roman qui, tel qu'il est, présente une très honnête facture. De plus, et c'est cela qui finalement est important, J. et D. Le May sont des « auteurs » ; grâce à la cohérence et à la constance de leurs préoccupations esthétiques. thématiques et, si j'ose dire, philosophiques, ils sont en train, discrètement mais sûrement, de sculpter un univers, donc de bâtir une œuvre.
Celle-ci reste encore (et restera peut-être toujours) mineure, car les conditions de production en série de la collection qui l'abrite ne permettent guère les grandes envolées. Mais le fait est trop rare au Fleuve Noir pour qu'il ne soit pas souligné.
Denis PHILIPPE
Première parution : 1/1/1972 dans Fiction 217
Mise en ligne le : 28/4/2002