Pierre Pelot est né en 1945. Auteur d'environ 70 romans publiés, dont 18 sous le nom de Pierre Suragne, il a obtenu le Grand Prix de la Science-fiction française 1978, pour son Delirium circus publié par J'ai Lu.
Sur la Terre d'après le Chaos, il y a de nouveau des maîtres, des riches, et puis il y a les Fouilleurs qui creusent et grattent parmi les ruines. A la recherche des vestiges d'avant... On les paye pour ça. Mal.
C'est en ces lieux de misère sauvage que surgit Julius Port, l'orphelin perdu, vite surnommé Kid le Maigrichon. Aussi bon Fouilleur que les autres, mais différent...
Ainsi, sur un chantier, il sauve de la mort un adolescent blessé, Alano...
Ainsi, à des putains venues distraire les Fouilleurs, il parle de révolte. Et il crie qu'eux, les « gratte-sol », ils ont aussi le droit d'exister !
Drôles de mots dont on se moque mais qu'on n'arrive pas à oublier...
Julius Port se baptise Kid Jésus et Alano ne le quitte plus...
Critiques
Terre, XXIVe siècle. Dans un monde dévasté par la guerre, un gouvernement fédéral a péniblement émergé des décombres. Il a fixé des règles, établissant une nouvelle hiérarchie sociale fondée sur une lutte des classes féroce. Julius Port appartient aux damnés de la Terre. Vulgaire fouilleur, il hante les ruines de la civilisation à la recherche de vestiges à exploiter. Un travail de forçat dont les fruits ne profitent qu’aux puissants et aux intermédiaires. Inspiré par le contenu d’une bande découverte dans les décombres, il prend le nom de Kid Jésus et prêche auprès de ses compagnons un évangile de révolte et de partage. Pour lui, il est possible de construire un monde meilleur sans attendre. Un monde fondé sur l’entraide, l’amour de son prochain, la fraternité, le respect d’autrui, la générosité, la bonté et l’égalité. Son discours soulève bien entendu l’enthousiasme auprès des humbles, leur faisant oublier l’individualisme où ils végétaient jusque-là, au point de susciter la crainte des politiques qui siègent au gouvernement fédéral. Confiant dans sa force et son charisme, Kid accepte finalement de jouer le jeu du pouvoir. Il finit par s’y perdre…
L’intrigue de Kid Jésus pourrait prendre place aux États-Unis pendant la Conquête de l’Ouest. Il suffirait de changer peu de choses. Mais si Pierre Pelot a écrit de nombreux westerns, il ne se contente pas ici de transposer le cadre de l’Ouest américain et ses archétypes dans un décor post-apocalyptique. Il étoffe son récit avec une mythologie empruntée à la science-fiction pour imaginer un univers de pionniers, à la fois singulier et convaincant, où de gigantesques bulldozeurs remplacent les chevaux.
Critique de la démocratie représentative et de la religion, Kid Jésus démontre que la foi n’est qu’un outil pour manipuler la foule et la démocratie un moyen pour la contrôler. Les promesses n’engagent que ceux qui les croient. Le leitmotiv est bien connu. Julius Port va en faire l’amère expérience, lui qui croyait maîtriser son destin, adulé par les fidèles attachés à ses paroles et à l’espoir qu’elles éveillaient chez eux. À bien des égards, le destin du Kid se révèle marqué par l’ambivalence. Porte-parole des misérables, il use d’un discours prophétique pour diffuser un programme politique révolutionnaire. Ce combat qu’il entame pour exister l’amène à se penser l’égal des puissants qui conduisent le monde. En fait, il se révèle un être vénal, médiocre, plus ambitieux qu’altruiste, dont la lutte servira plus malin que lui.
Au final, Kid Jésus a la qualité des plaisirs coupables, ces livres lus sous le manteau dont le décorum aventureux cache un propos plus politique. Pour Pierre Pelot, pouvoir et contre-pouvoir semblent comme les deux mâchoires du même piège à cons. En cela, il se rapproche d’un Jean-Patrick Manchette.
Julius Port, un vulgaire fouilleur qui déterre les vestiges du passé, se fait nommer un jour Kid Jésus et s'en va prêcher parmi ses compagnons d'infortune : ils ont eux aussi droit à une existence décente, au même titre que les Volants qui profitent de leurs découvertes. Les motivations du Kid ? L'argent, le succès rapide, par le biais de la mystification. L'affaire se politise vite, la situation devient explosive, et du jour au lendemain Kid Jésus est propulsé dans le monde des grands et des puissants. Fier de la force qu'il représente et obnubilé par les buts qu'il s'est fixé, il ne se rend pas compte que c'est lui qui est en fait manipulé...
Le sujet n'est pas bien nouveau, mais Pelot a su l'exploiter avec le brio qu'on lui connaît, en le situant dans un monde à la recherche de son passé et de sa culture, bref de son identité perdue depuis l'Holocauste. C'est dans cette période de confusion que Julius Port n'hésite pas à changer d'identité pour se forger un avenir qu'il ne connaîtra pas. La réalité de ce monde est en fait insaisissable : les Migrants existent-ils, reviendront-ils un jour, et sera-ce pour aider ou détruire l'humanité ? Au fur et à mesure que le lecteur progresse, les suppositions se multiplient et de nouvelles théories s'élaborent, sans qu'il soit possible d'en créditer une seule. Un vrai polar à l'envers que ce roman raconté par un Pierre Pelot en pleine forme !