La science-fiction signée John Wyndham possède quelques caractéristiques aisément reconnaissables, qui se retrouvent dans ce roman. L'action en est « linéaire » – c'est-à-dire qu'un thème dominant s'y trouve traité, contrairement aux combinaisons plus fouillées auxquelles se complaisent généralement les Heinlein aussi bien que les van Vogt. Une fois ce thème établi, les réactions des humains constituent la matière du récit. Dans le cas des « Coucous de Midwich », il s'agissait de la naissance soudaine d'enfants aux facultés hypernormales, et des bouleversements que leur présence causait dans une petite cité anglaise. « Le péril vient de la mer » racontait l'invasion de la Terre par des êtres qui choisissaient le fond de l'océan pour l'établissement de leurs bases. Cette herbe à vivre, ainsi que le titre français l'indique assez explicitement, permet de prolonger la vie humaine jusqu'à deux ou trois cents ans. En fait, l'auteur a manifestement cherché à ménager une petite surprise au lecteur, car la découverte des extraordinaires propriétés de ce lichen n'est annoncée qu'au quart du roman à peu près, et il a également préparé une fausse piste au moyen de son prologue. Quant au reste, le roman se déroule sur le rythme plutôt lent que John Wyndham affectionne ; il est raconté sur le ton tranquille et comme retenu qui est le sien (et qui est aussi très caractéristiquement anglais, ce qui rend assez cocasse l'indication « traduit de l'américain », portée par la page de titre) ; il met en scène un certain nombre de personnages dont aucun n'est conforme au modèle standard du surhomme ; enfin, les événements s'y déroulent d'une façon suffisamment logique et plausible pour que le lecteur se dise que la découverte effective d'un secret de longévité « pourrait bien, après tout, se passer ainsi »…
D'où vient, alors, la déception que l'on éprouve tout de même ? Le thème a rarement été aussi bien traité dans la science-fiction récente, et les conséquences d'une telle découverte se trouvent évoquées avec clairvoyance par les divers personnages.
C'est parce que, d'une part, on s'attend de la part de John Wyndham à la présentation de personnages humains et réels ; c'est là, bien sûr, un cliché éminemment usé, mais c'est aussi un des secrets que l'écrivain anglais semble posséder au plus haut degré. Or l'héroïne de « L'herbe à vivre » se révèle conventionnelle : jolie, intelligente, travailleuse, et chimiste-biologiste, elle n'est là, semble-t-il, que pour découvrir l'antigérone (tel est le nom donné à la substance miraculeuse que contiennent ces rares lichens de Mandchourie) et pour en faire profiter ses sœurs, derrière la façade d'un institut de beauté qu'elle fonde dans ce but. On pourra objecter que ce n'est déjà pas si mal. Sans doute, mais elle s'y prend avec un tel détachement cérébral – une fois ses premières hésitations surmontées – qu'elle semble, par la suite, bien dépourvue d'émotions humaines et surtout féminines. Elle aime en secret, bien sûr, son ex patron, que ses propres scrupules ont empêché de faire connaître l'antigérone, et qui demeure lui aussi plutôt inconsistant dans sa droiture timide.
L'autre défaut du roman est une conséquence de l'angle selon lequel l'auteur a abordé son thème : en choisissant d'exposer les réactions d'un petit nombre d'individus en présence de l'antigérone, John Wyndham s'est condamné à une portée relativement limitée de cette découverte. Le monde n'en entend parler qu'assez tard dans le livre, et celui-ci ne dégage jamais l'impression de drame universel que communiquaient si fortement « La révolte des triffides » (dans sa version anglaise) et « Le péril vient de la mer ». Dans ces deux romans, l'allure paisible du récit conférait, par contraste, un relief supplémentaire aux événements dramatiques qui étaient racontés. Dans cette « Herbe à vivre », cette allure tranquille est bien conservée, mais son effet principal est de produire du détachement chez le lecteur. En outre, la façon dont les deux protagonistes se tirent d'affaire en fin de compte résulte au moins autant d'un heureux concours de circonstances que de leur propre mérite. Bien sûr, ils sont à l'origine d'à peu près tous les événements ; mais ceux-ci eussent pu, tout aussi facilement, très mal tourner pour eux et pour leurs proches. Si certains auteurs sont injustement durs avec leurs personnages, John Wyndham s'est ici rendu coupable de la faute inverse. Mais il est vrai que Diana Brackley est très intelligente, et que Francis Saxover est particulièrement honnête…
Les remarques précédentes peuvent faire croire que « L'herbe à vivre » est un roman dépourvu d'intérêt. Tel n'est point le cas. Simplement, c'est une œuvre qui n'est pas au niveau de ce que son auteur nous avait donné précédemment. Ainsi qu'il a été mentionné, l'humour et l'aisance du récit sont toujours présentes – et ce sont là des qualités qu'on souhaiterait à plus d'un auteur. Les pastiches de style journalistique qui coupent parfois la narration sont en général fort drôles, car très proches de la réalité. En outre, le récit ne devient jamais ennuyeux, et les dialogues sont presque toujours très vivants. Mais John Wyndham peut faire mieux. Il l'a souvent prouvé dans le passé ; souhaitons qu'il nous en fournisse aussi une démonstration dans le proche avenir.
Demètre IOAKIMIDIS
Première parution : 1/3/1962 dans Fiction 100
Mise en ligne le : 30/12/2024