[Critiques des livres suivants :
- Les exploits du professeur Challenger de Sir Athur Conan Doyle - Ed. Robert Laffont
- Niourk de Stefan Wul - Fleuve Noir Anticipation n° 83
- Les soleils verts de Henry Ward - Ed. Jeheber
- Je reviens de... de Kemmel - Fleuve Noir Anticipation n° 84
- Le Guide de l'avenir de Léopold Massiera - Ed. Ferenczi]
Mois faste pour les amateurs d'A.S., bien que rien n'ait paru sous le signe de deux des principales collections spécialisées, « Présence du Futur » et « Le Rayon Fantastique ».
Sous le titre global « Les exploits du professeur Challenger », les Ed. Robert Laffont publient, en un monumental volume de 715 pages, l'intégrale de 1'œuvre de SF (qui ne s'appelait pas encore ainsi à l'époque) de sir Arthur Conan Doyle. Dans des traductions nouvelles signées respectivement Gilles Vauthier, André Algarron (directeur de la collection), Robert Latour, Bernard Tourville et Alexis Rey, et préfacé par John Dickson Carr, cet « omnibus » nous propose les deux romans « Le monde perdu » et « Au pays des brumes », la longue nouvelle « La ceinture empoisonnée » et les deux contes « La machine à désintégrer » et « Quand la terre hurla ». Ces cinq œuvres ne sont pas toutes de l'A.S. certaines appartiennent davantage au genre aventures, mais il faut se féliciter de leur réédition, car les aficionados ne les trouvaient que difficilement d'occasion. Il y a bien un quart de siècle que je ne les avais relues et c'est avec plaisir que je les ai retrouvées, un peu vieillies quant au style, mais toujours empreintes de cet humour si typiquement anglais (« La machine à désintégrer »), de riche imagination (« Le monde perdu »), de grandeur (« Quand la terre hurla »), de spiritualisme (« Au pays des brumes ») ou de fantaisie (« La ceinture empoisonnée »). Les lecteurs de la jeune génération trouveront peut-être crispant le personnage du professeur Challenger, mais il ne faut pas qu'ils perdent de vue le caractère classique, précurseur, de ces œuvres.
Avec « Niourk », sa deuxième œuvre (au Fleuve Noir), Stefan Wul nous donne un des meilleurs échantillons d'A.S. qu'il m'ait été donné de lire, supérieur à Retour à « 0 » qui lui valut le Grand Prix de Science-Fiction 1956. À la suite d'un cataclysme sans précédent, les océans de la Terre se sont asséchés, ne laissant subsister que quelques mares de grand fond où vit une faune de poulpes devenus intelligents après avoir absorbé les millions de tonnes de déchets radioactifs déversés là par l'humanité du temps de sa splendeur. Sur les anciens continents, mais bien au-dessous du niveau actuel de la mer, végètent des tribus retournées à l'état préhistorique. C'est l'existence de l'une d'elles que nous allons suivre, en compagnie d'un « enfant noir », dans lequel les néo-sauvages voient un mauvais génie. Mais le gosse, ayant découvert un vieux fusil atomique, devient chef de la tribu et entreprend avec ses compagnons et un ours un long voyage jusqu'à Niourk, la grande métropole abandonnée où, en l'espace de quelques heures à peine, et après de passionnantes péripéties, il deviendra un génie comme on n'en avait jamais vu, génie qui changera l'histoire de l'univers. J'ai rarement lu œuvre aussi attachante, aussi intelligemment conçue et écrite, aussi fine, aussi poétique. Lisez-la, et je suis persuadé que vous serez de mon avis. Espérons que Wul ne s'endormira pas sur ses lauriers et qu'il continuera de nous donner régulièrement deux ou trois romans de cette qualité par an.
Autre œuvre que je vous recommande chaleureusement : « Les soleils verts » de Henry Ward (auteur de langue française malgré son nom à consonance anglo-saxonne), aux Ed. Jeheber. La résumer me paraît difficile, sinon impossible. Réalité et romanesque s'y mêlent, des personnages vivants y côtoient d'autres, nés dans l'imagination de l'auteur. Et c'est écrit avec une conviction et une force telles qu'on se demande parfois s'il n'y a pas là-dedans beaucoup de vrai. Quant aux « soleils verts », ce sont de mystérieux rayons qui, pendant quatre mois, paralysent les centres atomiques américains et soviétiques, alors qu'un monde sub-nucléaire « traverse » le nôtre. Certes, l'auteur a fait également intervenir des éléments « sensationnels » qui paraissent un peu inutiles dans un ouvrage de ce genre, et qui font que certains chapitres font penser à un thriller d'espionnage. Mais cette légère réserve ne doit pas vous empêcher de lire et d'apprécier « Les soleils verts », œuvre prophétique qui occupera une place à part dans la littérature d'anticipation française.
« Je reviens de…», de Kemmel (Fleuve Noir), est dédié à « Jean Bommart, mon alter ego », ce qui me semblerait indiquer que l'auteur et mon excellent ami Bommart ne font qu'un. On retrouve d'ailleurs dans le style de l'œuvre, récit des aventures d'un groupe d'humains capturés par des Martiens, la finesse et l'humour si particuliers du père spirituel du « Poisson Chinois ». Le séjour sur Mars de ces « prisonniers » se révèle fort instructif, moins cependant que le voyage qu'ils effectuent sur Vénus, copie exacte de notre vieille bonne Terre, mais laissée en un ô combien triste état après une « petite » guerre atomique. Autant qu'un roman d'évasion, « Je reviens de…» est un avertissement à ceux qui, disposant d'une puissance qui les domine, risquent de précipiter le monde vers sa perte finale. Un ouvrage, aussi, qui se lit facilement, parce que clairement écrit, bien dialogué (un seul personnage m'a paru quelque peu irritant, le « titi »-mécanicien), vivant au possible.
Mentionnons enfin, avant de terminer, une courte nouvelle de Léopold Massiera, « Le guide de l'avenir », éditée dans « Mon Roman d'Aventures », la petite collection-brochure que publient les Ed. Ferenczi, histoire de deux jeunes gens des temps futurs qui effectuent un voyage « en arrière » pour relever l'humanité réduite en esclavage à la suite d'une guerre atomique.
Igor B. MASLOWSKI
Première parution : 1/3/1957 dans Fiction 40
Mise en ligne le : 12/9/2025