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Révolte sur la Lune, La révolution libertarienne selon Robert Heinlein

Francis VALÉRY

Cyberdreams n°10, avril 1997

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VIII — Et une touche d'esthétique, pour conclure

     Le principal mérite du courant cyberpunk — et en particulier de l'œuvre de William Gibson — aura été de doter la Science-Fiction des années quatre-vingt d'une esthétique. Ce qui ne s'était pas vu depuis le milieu des années vingt avec l'œuvre picturale et graphique d'un Frank R. Paul ou un film comme le Metropolis de Fritz Lang.
     Bien entendu, les cyberpunks n'ont rien inventé « dans le détail » — si ce n'est la pratique de la greffe de lunettes à verres miroirs ! Je ne parle pas ici d'inventivité : une esthétique est tout autre chose qu'un catalogue de gadgets. Cela étant, il est impossible de nier que cette esthétique s'appuie pour l'essentiel sur la systématisation et le recyclage d'une véritable quincaillerie SFiste, mise en place dès les années cin­quante par plusieurs auteurs américains dont les plus importants sont Alfred Bester et Robert Heinlein — et curieusement Philip Dick, mais par le biais de sa réinterprétation cinématographique.
     L'œuvre d'Heinlein est ainsi ponctuée de touches descriptives qui nourriront l'imaginaire des Gibson et autres Sterling.
     Révolte sur la Lune ne fait pas exception à cette règle. Heinlein y décrit par exemple un « stilyagi », sorte de punk avant la lettre, pratiquant même l'iroquois célébré par les punks Londoniens de la fin des seventies :
     (...) blouson rembourré, culotte à braguette et leggins, torse brillant et parsemé de poussière stellaire (...) le cuir chevelu rasé sur les côtés et la mèche centrale relevée en crête de coq ; sur le tout, il avait mis un bonnet rouge rabattu par devant. Un bonnet phrygien, le premier que je voyais de ma vie. (pp. 22-23)
     Cette description inspire à Mannie ce commentaire :
     Ce n'est pas que je me préoccupe de la manière dont les gens s'habillent : je portais moi-même un collant (non rembourré), et il m'arrive parfois, pour des réceptions, de me huiler le haut du corps. Pourtant, je n'utilise pas de cosmétique et j'ai les cheveux trop fins pour les rabattre en arrière comme les indiens, (p. 23).
     Révolte sur la Lune propose aussi, en la personne du narrateur, un bel exemple d'utilisation d'implants cybernétiques :
     À partir du coude, en allant vers le bas, je n'ai pas le moindre bras, ce qui me permet d'avoir une douzaine de bras gauches, chacun étant spécialisé, sans compter celui qui sent et a l'apparence de la chair. (...) le numéro trois possède des micro manipulateurs aussi fins que ceux des neurochirurgiens, (p. 11-12).
     Une autre caractéristique du roman est l'utilisation par les personnages d'une langue également métissée : le russe, en particulier, occupe une place importante dans la structuration de la langue des Loonies ; on retrouve là encore une préoccupation partagée par Alfred Rester (particulièrement évidente dans Les clowns de l'Eden avec la pénétration de la langue espagnole) et reprise par les cyberpunks — un examen attentif des enseignes publicitaires et commerciales du film Blade Runner révèle une Amérique dominée par le Japon et « nipponisée » au niveau du langage.
     Cet aspect n'est malheureusement pas rendu par la traduction française qui positionne cette avancée du russe au niveau de l'anecdote...
     Concluons en affirmant que si Révolte sur la Lune n'est généralement pas considérée comme un temps fort dans la carrière d'Heinlein, c'est bien à tort ; ce roman est en effet tout à fait représentatif, voire exemplaire, de l'œuvre d'un auteur qui, en dépit d'une lecture politique erronée de ses écrits, reste d'une étonnante modernité.


*



Références bibliographiques

     The Moon Is a Harsh Mistress
     prépublication in Worlds of If 97 (V15#12, 12.1965) à 101 (V16#4, 04.1966), couverture du numéro 97 et 16 illustrations intérieures (14 en pleine page hors texte et 2 en demi-page verticale) de Gray Morrow.
     édition en hardcover : G.P. Putnam's Sons, New York, 1966, 384 pages, $5.95
     ·&9;
     Traduction en langue française par Jacques de Tersac
     Collection « Les classiques de la Science-Fiction », 29, publié par le Club du Livre d'Anticipation (Éditions Opta), 27 janvier 1971, édition limitée à 5500 exemplaires + 150 HC.
     Le livre de poche, 7032, quatrième trimestre 1978
     Collection « Science-Fiction », 5278, Éditions Presses-Pocket, janvier 1988.
     Collection « Science-Fiction », 5278, Éditions Presses-Pocket, octobre 1988.
     Critiques parues en France :
     Daniel Riche in Nyarlathotep 4, 4.71, p. 49.
     ·&9;Jean-Pierre Andrevon in Horizons du Fantastique 16, 6.71, pp. 42-43.
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