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Entretien avec Yves Meynard

André-François RUAUD

Yellow Submarine n° 125, mars 1998

     La signature d'Yves Meynard ne devrait pas être inconnue des lecteurs d'YS — en fait, c'est même l'un des auteurs que nous avons le plus publié ces dernières années dans nos pages ! Ainsi de « Brasiers volés » (#103), « Les protocoles du désir » (#107, sous le pseudonyme de Laurent McAllister) et « La rose du désert » (#123). Cette dernière nouvelle a également donné son titre à un recueil, chez Alire. Un public français plus large devrait découvrir Yves Meynard au sommaire de l'anthologie Escales sur l'horizon de Serge Lehman (Fleuve Noir). Écrivant en anglais autant qu'en français, l'auteur a récemment publié un roman aux États-Unis, The Book of Knights.

     Où es-tu né ? Tu es québécois d'origine ?
     Je suis né dans la ville de Québec, alors on ne peut pas être plus québécois d'origine.

     Où vis-tu ? C'est quoi, l'existence d'un québecois qui vit de sa plume ?
     Franchement, la vie au Québec ressemble beaucoup à la vie en France. J'ai vécu trois mois en France en 1990 et je ne peux pas dire que j'aie subi un choc culturel anéantissant. Et ce n'est surtout pas ma vie à moi, banale et ennuyante, qui va apprendre quelque chose aux lecteurs de YS. Non, il n'y a pas de troupeaux de bisons qui traversent les rues de Longueuil ensevelies sous la neige, je ne me rends pas en canoë d'écorce à mon travail, et je ne vois que rarement des Indiens.

     Tu vis de ta plume, ou tu as un autre travail ?
     Après avoir terminé mes études de doctorat, j'ai vécu de ma plume pendant environ 18 mois, de janvier 1996 jusqu'au milieu de 1997. Lire « vivoté » pour « vécu », bien sûr, parce que les revenus d'un écrivain sont loin d'être faramineux — c'est la même chose qu'en France. Le support financier des gouvernements provincial et fédéral semble obséder certains, qui s'imaginent apparemment que tous les artistes québécois reçoivent une manne gouvernementale pour leur garantir un niveau de vie petit-bourgeois. Je n'ai fait qu'une demande de bourse au gouvernement en 96, et elle a été refusée, tout comme celles de plus de 80[%] des demandants. La ville de Longueuil m'a accordé 2500$ (soit 10 000FF 1) pour terminer un roman-jeunesse. Et ça, c'était pour vivre pendant 4 mois. Maintenant, je travaille comme programmeur-analyste. J'ai eu de la chance de trouver un très bon job que j'aime beaucoup. Je regrette de ne pas avoir autant de temps qu'avant pour écrire, mais il faut bien manger.

     Comment es-tu venu à la SF ? Quelles sont tes influences litteraires ?
     Je suis un vilain garçon qui, après avoir lu les livres de jeunesse de sa maman (ah, Berthe Bernage !) s'est mis bien vite à lire de la SF, encore de la SF, parce que c'est ça qu'il aimait le plus. Les écrivains qui m'ont le plus affecté sont Jack Vance, Gene Wolfe, John Crowley. Sont-ce ceux qui m'ont le plus influencé ? Je ne sais pas. Il y a de forts échos de Vance dans The Book of Knights, certainement. Un roman qui n'est encore qu'à l'état d'esquisse, Small Countries, est partiellement inspiré de Little, big (Le parlement des fées) de Crowley. Je ne sais pas ce que ça donnera quand je l'aurai écrit.

     Que cherches-tu, quand tu écris ?
     À écrire des histoires aussi bonnes que celles qui m'épatent chez les autres ! Et j'aimerais bien aussi arracher des larmes à mes lecteurs, mais je n'y suis pas encore arrivé.

     Y a-t-il une forme stylistique que tu chercherais à atteindre plutôt qu'une autre, ou as-tu une approche plus « utilitaire » de l'écriture ?
     Je trouve que ceux qui font l'éloge de l'écriture utilitaire sont généralement sourds au style et confondent un beau style avec un style ampoulé, qu'ils soient écrivains ou lecteurs. Le style doit s'accorder avec le sujet, mais il n'est jamais impossible d'avoir un beau et bon style, quelle que soit l'histoire qu'on raconte. Je cherche donc toujours à avoir une belle écriture, mais qui serve l'histoire.

     Comment es-tu devenu directeur littéraire de Solaris ? En quoi consiste ce travail, exactement ?
     En 1994, Joël Champetier, alors coordonnateur et directeur littéraire de la revue, m'a proposé de prendre sa relève comme dir. litt. J'ai accepté. Pas plus compliqué que ça... Mon travail consiste à lire les textes que l'on m'envoie et à dire oui ou non. Quand je refuse un texte, j'écris toujours une lettre explicative (j'ai le temps de le faire parce que la revue n'est pas ensevelie sous les textes) [NdAFR : Solaris ne prend que des textes canadiens]. De même, il m'arrive d'accepter conditionnellement un texte, moyennant retravail de tel ou tel aspect. J'essaie de travailler le terreau dans la mesure où même un écrivain débutant saura pourquoi il a été refusé, et même si un texte est intéressant, je ne le prendrai pas aveuglément. Pas question pour moi de récrire l'œuvre de quelqu'un d'autre, mais pas question non plus de laisser passer des faiblesses quand une correction évidente s'impose.

     Tu écris en collaboration avec Jean-Louis Trudel : pourquoi le pseudonyme ? Et surtout : comment écrivez-vous ensemble, comment se partage le travail ?
     Ce n'est pas un pseudonyme, c'est un « symbionyme ». Nous ne cachons pas que Laurent McAllister = YM + JLT. Pourquoi l'avoir choisi ? Parce que c'est amusant, c'est plus court à écrire, et ça reflète le fait que nous essayons de réaliser un alliage lorsque nous écrivons. Ça marche d'ailleurs assez bien : il nous arrive fréquemment en relisant un texte (même en cours de création) de ne plus savoir qui a apporté tel ou tel élément.
     Quand nous écrivons ensemble, nous élaborons l'idée à deux, dans de longues discussions face à face. Quand l'idée est assez mûre pour être écrite, l'un de nous débute, écrit une partie du texte, la passe à l'autre. À chaque fois, celui qui reprend l'histoire a le droit de récrire tout ce qu'il veut, que ce soit pour affiner le style ou pour changer l'histoire. Le processus s'arrête une fois que nous sommes tous les deux satisfaits du texte. Pour notre roman de space opera (en chantier depuis des années), nous avons souvent réparti les chapitres entre les deux auteurs, mais seulement à l'intérieur d'une même itération.

     Tu as également écrit en collaboration avec Elisabeth Vonarburg : même question... Et que t'apporte le travail en commun ?
     Je n'ai collaboré avec Elisabeth qu'une fois [NdAFR : sur Chanson pour une sirène, Vents d'Ouest] ; nous avons employé sensiblement le même fonctionnement. Le travail en commun est une façon différente de faire les choses, c'est une expérience enrichissante, si vous me pardonnez la mièvrerie de la réponse. Ce n'est pas la façon dont je préfère travailler mais j'ai l'intention de continuer à écrire en collaboration dans le futur.

     Qu'est-ce que The Book of Knights ? Tu as écris ce roman directement en anglais, tu l'as traduit, quelqu'un d'autre l'a traduit, comment ça c'est passé ? Le fait de publier aux USA était une bonne occasion, ou un plan de carriere bien précis ?
     J'ai écrit The Book of Knights, un roman de fantasy, directement en anglais. Le succès du recueil Northern Stars (anthologie de textes canadiens de SF chez Tor Books) a fait dire à l'éditeur David Hartwell, lors d'une convention à Ottawa à l'été 1995, que c'était le bon moment pour publier de nouveaux auteurs canadiens. Je lui ai donc envoyé mon manuscrit ; comble de malchance, 1995, c'est l'année où les distributeurs de livres aux USA se sont entre-dévorés, ce qui rendait le climat insalubre pour les premiers romans. Si Tor avait publié mon roman tout de suite, il aurait été tellement mal distribué que ç'aurait été un naufrage. Hartwell a pu me confirmer vers la mi-1996 que le bouquin était accepté. Par contre, ils le voulaient plus long (c'était vraiment très court) et le dernier chapitre avait besoin d'être refait. Je me suis acquitté des corrections demandées et la version finale du manuscrit a été acceptée au début de 1997 pour une publication en janvier 1998.
     Est-ce que ça faisait partie d'un « plan de carrière » ? Je ne suis pas quelqu'un qui programme son avenir, mais certainement j'avais toujours ambitionné de publier aux États-Unis, et j'ai l'intention de continuer dans cette voie.

     J'avoue ne connaitre de toi qu'un recueil de nouvelles et le court roman avec Elisabeth, tu as fait d'autres bouquins, en français ?
     J'ai publié sept livres : outre ceux que tu mentionnes, il y a quatre romans pour jeunes (Le mage des fourmis, Le vaisseau des tempêtes, Le Prince des Glaces et Le fils du Margrave, tous chez Médiaspaul) et un autre court roman, Un œuf d'acier.

     Sur quoi travailles-tu, en ce moment ?
     Je termine la traduction d'une novella, Soldats de sucre. Je destine la version française à Vents d'Ouest (qui ont publié Chanson pour une sirène et Un œuf d'acier), et la traduction à Tomorrow, la revue créée par Algis Budrys, qui a déjà publié plusieurs de mes textes. J'entreprends de traduire The Book of Knights en français, et je travaille à quelques nouvelles. Comme je fais plus long qu'avant, ça me prend plus de temps à les terminer. J'ai plus d'un projet de roman, mais rien n'a vraiment démarré pour l'instant.


Notes :

1. Environ 1500 euros. [note de nooSFere]

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Biographies, catégorie Bios
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