Nous avons eu la fierté de présenter dans notre n°119 une nouvelle de Robert J. Sawyer (récompensée d'un Grand Prix de l'Imaginaire, et bientôt rééditée chez Librio dans une anthologie de nouvelles SF de Sherlock Holmes réunie par notre capitaine). Depuis, son roman Starplex a été nominé pour le Hugo et le Nebula, Terminal Experiment a reçu le Nebula. Et comme un bonheur ne vient jamais seul, la nouvelle directrice de J'ai Lu SF a acheté ces deux romans pour traduction. En attendant, donc, que le lectorat français fasse plus ample connaissance de Robert J. Sawyer, nous nous sommes entretenu avec lui via le Net (son site web est http ://ourworld.compuserve.com/homepages/sawyer 1).
Où êtes-vous né, votre famille est-elle originaire du Canada ?
Je suis né à Ottawa, qui est la capitale du Canada. Mon père travaillait à l'époque comme statisticien pour le gouvernement fédéral canadien. Peu de temps après ma naissance, nous avons déménagé pour Toronto, qui est la plus grande ville du Canada, de manière à ce que mon père prenne un poste d'enseignant à l'Université de Toronto. Mon père était né au Canada, mais ses parents sont nés en Grande-Bretagne — son père en Angleterre et sa mère en Écosse. Ma propre mère est américaine, bien qu'elle ait vécu au Canada plus de quarante ans. Ses ancêtres étaient mi-Norvégiens mi-Suédois.
Êtes-vous écrivain à plein temps ?
Je suis, en fait, l'unique écrivain canadien de langue anglaise natif du Canada écrivant à plein temps. Je suis sorti de l'université en 1982 avec un diplôme de radio — et télédiffusion (broadcasting), j'ai passé un an comme professeur assistant (enseignant les techniques de production des studios de télévision), et je gagne mon existence depuis 1983 en tant qu'écrivain. Durant les années 80, la plus grande partie de mon travail était de la non-fiction — des articles pour les magazines, plus beaucoup de travaux corporatistes et gouvernementaux. Je suis écrivain de SF à plein temps depuis 1992, et les choses semblent aller plutôt bien. En fait, en 1997 ma femme a quitté son travail dans l'industrie de l'imprimerie pour venir me servir d'assistante.
Que représente le fait d'être écrivain de SF au Canada ? Vous connaissez les autres écrivains canadiens ? Il y a-t-il une sorte d'« école canadienne » de la SF, comme il existe une SF britannique ?
J'ai passé une décennie à bâtir une communauté SF au Canada anglophone. De 1984 à 1992, j'ai été le coordinateur d'Ontario Hydra, la première association professionnelle de SF au Canada. Et j'ai mené une longue bataille pour établir une région canadienne au sein de la Science Fiction and Fantasy Writers of America. Cette région a été créée en 1992, et j'ai servi durant les trois années qui ont suivi comme premier directeur régional canadien de la SFWA. De plus, je publiais un bulletin d'information pour les écrivains canadiens de SF, nommé Alouette — d'après le nom du premier satellite canadien — ainsi qu'une publication nommée Northern Lights, pour informer le public de ce qui se faisait dans le domaine de la SF canadienne. Alors, oui, il est certain qu'il y a maintenant un sentiment de communauté parmi les écrivains canadiens de SF — je connais la plupart personnellement, et beaucoup sont des amis. Quant à savoir s'il y a une école canadienne, c'est difficile à dire. Nous sommes si dispersés — le Canada est vingt fois grand comme la France, après tout. Robert Runte, un chercheur canadien, aime à dire que la SF américaine se termine bien, que la SF canadienne se termine mal, et que la SF britannique ne se termine pas du tout — mais, en fait, toute tentative pour unifier la SF canadienne est condamnée à l'échec. La plupart de nos écrivains de SF sont des émigrants — Michael Coney et Andrew Weiner de Grande-Bretagne ; William Gibson, Spider Robinson et Robert Charles Wilson des États-Unis ; Elisabeth Vonarburg de France. Leurs œuvres me semblent bien souvent, ou le plus souvent, être le reflet de l'endroit dont ils viennent plutôt que de là où ils vivent aujourd'hui. Cependant, on peut arguer du fait que la SF canadienne parle fréquemment de la rudesse du paysage, qu'il s'agisse vraiment de la neige qui tombe en tourbillonnant, ou d'une métaphore de la neige. On peut également défendre l'opinion selon laquelle les personnages principaux, dans la SF canadienne, sont rarement complètement triomphants, comme ils le sont souvent dans la SF américaine. Je pense que cela vient notamment du fait d'être une puissance intermédiaire, plutôt qu'une super-puissance. Les Canadiens ont l'habitude du fait qu'il y ait des choses trop grosses pour nous — des choses que nous ne pouvons changer.
Entretenez-vous des contacts avec les écrivains de SF francophones ? Les communautés canadienne-anglaise et québécoise-française sont-elles des entités complètement séparées ?
Vous savez, la réponse politiquement correcte serait que nous sommes tous une grande famille heureuse, mais, hélas, ce n'est pas vrai. Une organisation nommée SF Canada existe depuis maintenant huit ans, qui essaye de mêler les écrivains anglophones et francophones du Canada, mais, réellement, nous avons peu de choses en commun. Les canadiens-anglais essayent tous de vendre aux États-Unis, les canadiens-français s'adressent surtout à des petits éditeurs locaux.
Pourquoi écrivez-vous de la SF ? Ce qui est également une manière de vous demander : quelles sont vos influences et quel genre de SF aimez-vous ?
Quand j'étais adolescent, la science-fiction formait le gros de mes lectures, j'ai donc naturellement gravité dans cette direction. La plus grande influence sur mes débuts dans l'écriture fut Arthur C. Clarke — mon premier roman, Golden Fleece, est assurément influence par 2001. J'ai aussi été influencé par Larry Niven et, surtout, par Frederik Pohl qui, dans ses meilleures œuvres, parvient à faire une « hard science » merveilleusement bien peuplée de personnages. C'est précisément le genre de choses que j'essaye d'écrire.
N'avez-vous pas envie d'écrire dans d'autres genres ? Il y a un fort élément policier dans beaucoup de vos romans.
Il m'est arrivé de songer sérieusement à essayer d'écrire du polar. Comme vous le dites, beaucoup de mes romans ont des éléments policiers — Golden Fleece, The Terminal Experiment, Frameshift et Illegal Alien sont tous, d'une manière ou d'une autre, des enquêtes policières, et Fossil Hunter a une enquête policière en intrigue secondaire. C'est aussi le cas, bien entendu, de « Vous voyez et vous n'observez pas », qui est une histoire de Sherlock Holmes et a gagné un Grand Prix de L'Imaginaire, et d'une autre de mes nouvelles, « Just Like Old Times », sur un tueur en série voyageant dans le temps, qui a gagné à la fois un prix Aurora pour la SF et un prix Arthur Ellis pour le polar. Mais il est tellement difficile de se faire un nom dans un genre que je ne veux pas m'éloigner de la SF. Mon public se bâtit gentiment dans le champ de la SF, je veux continuer à proposer de nouveaux livres à cette audience aussi vite que possible. Un détour dans le polar pur serait un mauvais service à rendre à mes lecteurs.
J'ai lu quelque part que vous aviez également travaillé à la radio, non ?
En 1985, la Canadian Broadcasting Corporation m'a commandé l'écriture et la narration de trois documentaires radios d'une heure sur l'histoire de la science-fiction. J'ai interviewé de nombreux grands de la SF, parmi lesquels Isaac Asimov, Frederik Pohl, Thomas M. Disch, Samuel R. Delany, Spider Robinson, Judith Merril et Elisabeth Vonarburg. Les programmes furent un succès, et la CBC m'a commandé deux autres documentaires en 1990, sur l'uchronie. Pour cela, j'ai interviewé Gregory Benford, Harry Turtledove, Kim Stanley Robinson, S. M. Stirling et d'autres. C'était très amusant, mais cela m'a également permis de réaliser que je passais beaucoup trop de temps à écrire sur la science-fiction — je chroniquais également de la SF pour The Globe and Mail, le journal national canadien, en plus de faire les deux bulletins déjà mentionnés. Il me fallait me concentrer sur le fait de vraiment écrire de la SF. Néanmoins, je fais encore des émissions. Je présente un commentaire mensuel de la vie dans le futur pour une émission télé scientifique, et j'interviens souvent à la télévision canadienne à propos de la SF.
Pourquoi s'est-il écoulé une dizaine d'années entre la publication de votre première nouvelle, en 1981, et celle de votre premier roman, en 1990 ?
Pour une part, je manquais de temps. Ma carrière d'auteur indépendant de non-fiction m'occupait fortement. En fait, en 1988 j'ai déclaré à ma femme que pour la première fois j'allais refuser du travail pour me libérer du temps pour écrire de la fiction. Mais d'autre part, cela s'explique par le fait que je n'ai pas eu beaucoup de chance avec mes nouvelles. La sagesse traditionnelle veut que l'on commence par publier des nouvelles, et ensuite, quand on maîtrise cet art, on peut passer au stade supérieur du roman. Mais je n'arrivais pas trop à écrire des nouvelles. Alors finalement, je me suis dit à quoi bon, et je me suis lancé dans l'écriture d'un roman — c'était comme si un tout nouveau monde s'ouvrait à moi. Il est clair que le format roman est mon canevas naturel. Quoique je n'ai plus de problèmes pour vendre mes nouvelles aujourd'hui, je trouve toujours beaucoup plus difficile d'écrire une fiction courte que d'écrire un roman.
D'où vient donc votre amour évident pour les dinosaures ? (les peuples de la trilogie Quintaglio, les dinosauriens de End of an Era)
Depuis ma plus tendre enfance, j'ai toujours adoré les dinosaures. En fait, je pensais lors consacrer ma vie : enfant, je voulais devenir paléontologue. Mais les possibilités d'emploi semblaient maigres : il n'y a que trois paléontologues des dinosauriens au Canada, et il semblait peu plausible que l'un d'entre eux prenne sa retraite pile lorsque j'arriverai en scène. Il s'est donc avéré que mon deuxième rêve était de devenir écrivain — quelque chose que j'avais toujours pensé ne pas pouvoir être une activité rémunératrice — et que ma carrière a suivi ce chemin. Je pense qu'il y a un rapport, cependant : les dinosaures sont une forme de vie vraiment étrangère, et nous n'apprenons sur eux que par la logique, la déduction et la science. Mes romans ont eux aussi une réelle fascination pour les formes de vie étrangères. Et, bien sûr, mes livres se complaisent dans le style de processus scientifiques et de résolutions de puzzles qui occupe tout le temps les paléontologues.
Avez-vous une formation scientifique ?
À l'université, la seule science que j'ai étudié était la psychologie — ce dont j'ai fait usage dans mes romans Foreigner, The Terminal Experiment et Factoring Humanity. Mais durant mes nombreuses années de journalisme, j'ai appris comment mener des recherches. J'aime la science et je pense vraiment qu'elle appartient à tout le monde, pas seulement aux scientifiques. Kim Stanley Robinson et Fred Pohl sont considérés comme d'excellents écrivains de « hard science », mais Stan a un diplôme de littérature et Fred n'a même pas fini le lycée. Chacun est capable d'écrire de la « hard science » du moment qu'on se donne la peine de faire les recherches. Et je suis tout à fait d'accord pour me donner cette peine — en fait, c'est la partie que je préfère dans le processus d'écriture. Rien ne me donne plus de plaisir que d'apprendre de nouvelles choses.
Notes : 1. Le site a depuis déménagé sur http://www.sfwriter.com/ [note de nooSFere]
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