Lorsque Neil Gaiman s'attelle au premier épisode de Sandman, il y a déjà vingt ans, c'est en réponse à une commande de l'éditeur DC qui souhaite exploiter l'un de ses vieux personnages de l'Âge d'Or, Sandman, donc, un justicier dont la particularité est d'endormir ses ennemis à l'aide d'un gaz soporifique (cf. article Comic Box N°55). Seulement, l'auteur va partir dans une direction totalement différente en laissant parler son âme de poète pour mettre en scène Dream, le dieu du rêve. Le résultat : une sorte d'OVNI où une société occulte parvient à invoquer la Mort en personne, afin d'obtenir d'elle l'immortalité... Du moins le croit-elle, car en lieu et place de Death apparaît Dream, son petit frère, réduit en captivité tant qu'il n'aura pas octroyé à ses geôliers ce qu'ils désirent tant : une vie éternelle qu'il est incapable de leur donner. Les premiers tomes de Sandman parus chez Le Téméraire nous content ainsi l'évasion de Dream, sa vengeance, puis sa quête des reliques nécessaires pour accomplir son rôle de Maître des Rêves, qu'il retrouvera éparpillées un peu partout (notamment chez certains personnages célèbres de DC) et qui l'amèneront à se rendre en Enfer (l'occasion d'assister à un formidable duel de mots contre un démon, l'un des meilleurs passages de la série).
Passons sur vingt ans d'aventures (bien peu de choses pour un immortel) pour en venir à la fin de cette saga, narrée dans ce dixième album Panini. 1 Dans Veillée Mortuaire, l'impensable est arrivé : Dream est mort. Nous y assistons à un défilé d'immortels et de mortels venus lui rendre les derniers hommages, alors que son successeur (le même individu, mais pourtant différent : un concept ne saurait mourir) patiente pour prendre sa place. Le ton est donc mélancolique : chaque personnage y va de son discours sur Dream, éclaircissant les rapports entretenus avec lui à l'occasion d'un bilan global de son interminable vie avant d'entamer une nouvelle ère du rêve, placée sous l'égide d'un nouvel immortel. Toute l'ambiguïté du Maître des Rêves, parfois terriblement humain malgré son statut divin, est alors passée en revue dans un ultime requiem.
Disons-le, Sandman n'est pas franchement le comic-book le plus abordable que l'on puisse lire : si un ami ne connaissant rien au genre vous demande de lui conseiller une BD susceptible de l'initier, bien mal vous prendrait de lui mettre dans les mains cette œuvre assez complexe bourrée de références, sans beaucoup d'action et à la narration éclatée plutôt difficile à suivre (et ce malgré l'annonce de l'éditeur en quatrième de couverture, selon laquelle chaque album serait lisible indépendamment...). Ne vous méprenez pas : Neil Gaiman est un génie mais son univers étrange, baroque et surréaliste se veut inspiré du monde des rêves, ce qui a pour effet d'y rendre toute notion de logique ou de cohérence complètement hors de propos. Clairement : pour entrer dans le trip de Gaiman, mieux vaut s'accrocher. Toutefois, si vous êtes fan de l'univers poétique de l'auteur et si vous avez suivi l'intégralité de la série, cette conclusion est incontournable.
Notes : 1. Notez qu'entre les trois éditeurs s'étant portés acquéreurs des droits, Le Téméraire, Delcourt et Panini, la publication de la série s'est déroulée dans un chaos total : Panini a repris la publication de Sandman en publiant à la suite de Delcourt les derniers épisodes sortis aux USA, avant de prendre la suite directe des albums publiés par Delcourt après le quatrième album, et avant de rééditer les premiers déjà parus chez Delcourt, pour continuer maintenant la suite logique... Reportez-vous donc à l'ordre établi par mes soins, qui doit normalement correspondre à la publication des épisodes américains.
Florent M. 19/04/2009
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