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Londres 1874... Les bas-fonds de la capitale britannique n'ont jamais été un lieu de villégiature, mais depuis quelques semaines, la police enquête sans succès sur des meurtres d'une sauvagerie inhabituelle. Une rumeur commence à circuler dans les pubs du port : ces crimes seraient l'oeuvre de deux guerriers vikings dont les corps intacts ont été récemment exhumés d'un tumulus des Shetlands… | |
Roger Seiter, entre autres co-scénariste avec Isabelle Mercier du Coeur de sang ou de La hache du pouvoir chez Delcourt, nous convie cette fois dans l'atmosphère sombre d'un polar fantastique envoûtant situé dans le Londres de Dickens, de Sherlock Holmes et de Jack l'éventreur. Par un scénario assez classique, inspiré de la malédiction des pharaons, Seiter met en scène la violence venue d'un autre âge, l'irruption d'une barbarie sanglante, dans le monde policé de l'ère victorienne.
En harmonie avec l'époque et le climat, les personnages sont austères et contrastés :
- L'inspecteur Molton est désabusé, froid et professionnel... au contraire du jeune inspecteur Harwood, personnage romantique, sensible et délicat, en quête de ses racines et d'amour.
- Sir Thomas est un scientifique passionné, qui porte la folie sur son visage creusé par la soif de connaissance... au contraire du journaliste Graves, amateur de fantastique, qui promène son regard ironique et détaché sur le monde qui l'entoure.
- Finalement, seule Mary semble présenter une fougue qui la fait paraître plus vivante que tous ces hommes... au contraire de la pâlotte Alison qui se soumet volontiers aux contraintes familiales et sociales.
Si la peinture de la société victorienne est remarquable, l'intrigue policière est elle aussi sans faille. Tout au long de l'histoire, notre conviction oscille entre l'hypothèse d'un mystificateur et celle d'un réel fantôme, et le suspense est si habilement mené que malgré toutes les informations et rebondissements apportés par l'enquête, le mystère demeure entier à la fin de ce premier album.
Le trait de Bonin est en parfaite adéquation avec cet étrange et inquiétant récit. Visages blafards, aux traits à peine esquissés, aux yeux cernés : le brouillard est ici davantage sur la face des personnages qu'au dehors, reflétant sans doute leurs troubles internes. Les teintes grises traduisent parfaitement l'ambiance feutrée, tendue et oppressante de cette époque où les conventions sociales empêchent l'extériorisation des sentiments, tandis que le dynamisme du graphisme surgit du contraste avec les ombres, les costumes anthracites, et les taches noires qui constellent les dessins.
En conclusion, cette BD très "littéraire" séduit autant par la rigueur du scénario que par un dessin très fin où l'ombre et le contraste jouent un rôle prédominant.
Pascal Patoz nooSFere 15/07/1999
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