Les sept volumes de la série phare, Le Triangle secret, ont permis de rencontrer nombre de personnages, d'acteurs et de suivre une partie de leur parcours. Mais, au risque de donner dans la démesure, le scénariste ne peut explorer les différentes étapes, rencontres, occasions qui ont amené un individu à cette place, en ce temps. C'est donc, par le biais de séries parallèles, que l'auteur peut revenir sur des moments qui influèrent sur leur destin, sur les causes principales ou secondaires qui ont orienté leur cheminement. Ces séries permettent d'explorer quelques nœuds sur la chaîne des possibles. Mais, la question essentielle reste : est-ce nécessaire ? Est-ce utile ?
Avec la série Hertz, Didier Convard revient sur des épisodes de la jeunesse des personnages emblématiques de sa fresque. Après Martin Hertz et sa confrontation avec des souvenirs douloureux, il continue dans cette veine avec le cardinal Montespa.
Celui-ci est pressenti pour être le futur pape de l'Église catholique. C'est lui qui a fait assassiner Martin Hertz. Léa, son épouse, minée par le chagrin, est mourante. Elle a demandé à voir celui qu'elle considère comme l'ami de son mari. Bourrelé de remords, mais espérant peut-être apprendre quelque secret sur la Loge Première, il vient rapidement à son chevet. Elle lui demande de passer à la villa où elle a réuni, sur le bureau de Martin, des photos et un carnet. Sur place, un cliché ravive ses souvenirs et la lecture du calepin l'éclaire sur les événements qu'ils ont vécus, alors étudiants, au printemps 1953, à Paris.
Bartolomeo se souvient de Céline, une jeune militante communiste, qui l'avait séduit au point de remettre en cause sa vocation de prêtre. Des responsables religieux, son père, vont s'attacher à le faire rentrer dans le « droit chemin », profitant de circonstances dramatiques qui impliquent Céline.
À travers cette histoire, Didier Convart revient sur l'instrumentalisation décidée quand Montespa et Hertz ont fait état de leur rencontre avec André Pellier, celui qui savait où se trouvait le Testament du Fou. Le scénariste expose, également, ce qui fait la force d'une structure comme l'Église catholique. Ses membres construisent dans la durée, sans une attitude dictée par les prochaines échéances électorales où il faut être réélu, sans autre souci que de mener à son terme une action engagée. Celle-ci sera poursuivie au-delà de la mort de ses initiateurs. Ces conditions de fonctionnement, si elles bafouent la vraie démocratie, autorisent une politique à long terme, dépassant la dimension humaine, la durée d'une vie.
Il revient sur le choc d'idéologies et de sentiments amoureux. Il montre que l'amour autorise de magnifiques rapprochements, mais également que le sectarisme des idéologies civiles dépasse souvent celle d'une foi religieuse. Alors que Bartolomeo est presque décidé à renoncer à entrer dans les ordres, Céline reste sur ses positions, même si celles-ci sont vacillantes. Cela offre l'occasion pour Didier Convard de construire un magnifique portrait d'héroïne déchirée entre ses sentiments et le carcan de ses engagements idéologiques. Le poids de l'entourage est superbement mis en avant, démontrant que l'Homme reste bien dépendant d'une communauté.
La réponse sur la nécessité de tels albums devient évidente à la lecture de Montespa. Cette âme noire, toute acquise à une cause discutable, prend une dimension plus humaine. Mais le scénariste, sans pitié pour un tel pêcheur, remet une couche de remords en lui dévoilant une nouvelle, mais bien triste responsabilité.
Montespa est une histoire surprenante, comme sait en raconter l'auteur, mise en images de façon magnifique par le graphisme d'un Pierre Wachs au mieux de sa forme.
Serge Perraud nooSFere 14/01/2010
|