Judge Dredd est une série déroutante à bien des égards. En fonction du scénariste, elle peut en effet basculer d'un ton punk nihiliste, immature et grand guignol, comme dans le récent Heavy Metal Dredd, à une atmosphère sérieuse et solennelle. Mais le plus surprenant, c'est quand le même auteur (en l'occurrence John Wagner, l'un des créateurs de Dredd) s'autorise à changer d'angle d'approche au gré des épisodes, en fonction de son humeur.
Vous l'aurez compris, le propos de Mandroid tranche radicalement avec le dernier Judge Dredd publié chez Soleil, aux histoires assez farfelues. Nous découvrons ainsi Nate Slaughterhouse, soldat déchiqueté sur le champ de bataille puis reconstitué à la façon de la créature de Frankenstein, mais sous une forme cybernétique, armé de membres bioniques. De retour à Mega-City One avec sa femme et son fils, il va se retrouver confronté à toute la violence de la mégalopole, et à la difficulté de la réinsertion pour un vétéran. On pense alors beaucoup aux « gueules cassées » de la Première Guerre Mondiale, et les inspirations cinématographiques de l'auteur sont évidentes : le premier Rambo, dans un premier temps, puis Death Wish ( Un Justicier dans la Ville) et L'Inspecteur Harry : Magnum Force car, après avoir été victime de cette ultraviolence urbaine, le sergent Slaughterhouse devient un vigilante arpentant les rues pour les nettoyer à la place des Juges.
Bien sûr, Dredd voit tout cela d'un mauvais œil, et c'est ici que s'effectue le rapprochement avec Magnum Force, le film ayant réhabilité l'inspecteur Harry, considéré par certains critiques comme un fasciste mais qui, dans cette suite, refusait de s'allier à des policiers exécutant des criminels en dehors de tout cadre légal. Car Judge Dredd entend bien faire respecter la loi et laisser aux juges le monopole des exécutions, tout en comprenant les motivations de Slaughterhouse et en faisant preuve d'une empathie qu'on ne lui connaissait pas. Mais Dredd n'est pas un ange et reste Dredd, torturant et tuant au nom de son seul amour, la loi.
Mandroid possède donc ce qui fait parfois défaut à la série : de la nuance, une profondeur permettant de susciter la réflexion sur les problèmes liés aux sociétés occidentales modernes et futures. Bref, c'est intelligent, et Mandroid contient tout ce que j'attendais d'une histoire de Judge Dredd : une approche sobre (appuyée par un magnifique dessin tout en retenue) et un traitement subtil du personnage de Dredd, mal nécessaire pour les uns et remède pire que le mal pour d'autres, loin de la caricature du facho qui explose des têtes de punks. Alors, chef-d'œuvre ? En ce qui me concerne, on n'en est pas loin.
Florent M. 25/02/2011
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