Pour sauter rapidement à la conclusion, indiquons d'emblée qu'Engrenages n'est pas loin du chef d'œuvre. C'est un superbe album, qui, malgré sa richesse, a en outre l'intérêt de pouvoir se lire indépendamment des précédents, sans appeler une suite. Le contexte est celui de Sillage, un vaste convoi de vaisseaux interstellaires qui parcourt sans fin la galaxie et qui réunit de multiples races extraterrestres, dans un grouillement visuel qui rappelle les meilleurs Valérian. La seule humaine est Nävis, enfant trouvée qui ignore ses origines, jolie gamine espiègle et rigolote, au corps encore adolescent, appelée à accomplir des missions diverses. Plus mûre que dans les précédents épisodes, elle est d'ailleurs devenue aussi sympathique et dégourdie que Laureline, avec une gravité supplémentaire apportée par sa quête d'identité.
Dans Engrenages, Nävis est envoyée sur une planète qui connaît une évolution incroyable. Peuplée initialement de paisibles ovipares – les Püntas – ce monde a vu apparaître subitement une race humanoïde dont l'ascension est fulgurante. Brûlant mystérieusement les étapes, cette espèce – dont les traits comportent certaines caractéristiques des Püntas – est arrivée à l'ère industrielle, une sorte de XIXème siècle où la révolte gronde contre les pairs dirigeants. Une vraie révolution même, avec barricades, discours enflammés et répression sanglante. Jouant sur les couleurs, les auteurs nous montrent cette société en noir, blanc et rouge, les teintes du romantisme exacerbé, celles qui ont contribué au succès des Sambre par exemple. Mais les auteurs y mêlent aussi une technologie plus avancée, comme des véhicules du XXème siècle ou des aérogyres futuristes, qui donne une touche steampunk à l'ensemble.
Comparer cet album successivement à Valérian puis à Sambre montre la variété de l'inspiration des auteurs. Ajoutons de l'humour, de l'émotion, de l'amour et de l'action ; ajoutons une remarquable société extraterrestre d'une infinie sagesse ; ajoutons un savant fou, un gigantesque robot et d'étonnantes manipulations génétiques ; ajoutons encore tout le savoir-faire des auteurs, dont le dessin magnifique de Buchet et l'imagination d'un Morvan qui se montre ici aussi inspiré par cette création originale qu'on le sentait bridé dans son adaptation du cycle de Tschaï... et nous obtenons là l'un des meilleurs space opera de la bande dessinée.
Pascal Patoz nooSFere
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