Nouveau changement d'ambiance pour ce quatrième tome de Sillage. Après la très belle atmosphère romantique et steampunk du précédent album, nous abordons cette fois la planète Hurumaru, un monde d'allure médiévale. Cinq scruteurs y sont dépêchés par l'immense flotte interstellaire afin d'établir un rapport sur le niveau d'évolution de cette planète, où cinq espèces dominantes asservissent les autres.
Une race d'esclave, les Escotes, s'est récemment révoltée en occupant la cité d'Ovariahn. Dirigés par Monéva, une farouche jeune femme, les Escotes se battent pour leur liberté tout en traquant les envoyés de Sillage, dont la balise-pendentif est assimilée à une marque démoniaque.
Une équipe de secours, comprenant la jolie Nävis, est envoyée pour retrouver les scruteurs...
Morvan a l'immense mérite de pouvoir boucler une histoire complète en un seul album sans demeurer superficiel. Il parvient à nous présenter rapidement le contexte politique, écologique et ethnique d'une planète, grâce à quelques indices habilement insérés qui permettent au lecteur de reconstituer l'ensemble du décor. En quelques pages, les principales informations sont connues, introduites sans aucune pesanteur ni didactisme, sans nuire aucunement au rythme d'un récit trépidant.
Si l'action est omniprésente, avec en particulier de fréquents combats, l'intrigue n'en demeure pas moins intelligente et étoffée : outre l'exposition de la situation planétaire, elle amène une réflexion sur la colonisation censément « pacifique » que mène Sillage et sur la corruption de certains de ses responsables.
Les personnages sont attachants, bien campés grâce à quelques traits qui suffisent à préciser leur caractère et à imaginer leur passé. Nävis ne vole pas la vedette aux autres protagonistes, montrant que les qualités de chaque membre de l'équipe sont importantes, y compris celles du tigre que l'on retrouve avec plaisir et qui nous réserve une belle surprise.
Enfin, l'humour n'est pas oublié, un humour parfois cynique, par exemple lorsque Nävis soutient qu'il est inconcevable d'imaginer un être humain irrespectueux de la vie – n'oublions pas qu'elle est la seule humaine connue de l'univers et qu'elle idéalise l'espèce dont elle cherche la trace.
Evidemment, l'imagerie développée par Buchet est ici celle de la fantasy. Dès la première planche, il met en scène un cliché du genre : de grosses brutes monstrueuses attaquent de gentils gnomes dans un moulin très improbablement situé en haut d'une cascade et Nävis intervient comme le ferait tout bon barbare musclé passant par là. « Il ne fallait pas vous inquiéter, j'arrive toujours à temps » dit-elle avec aplomb ! Le dessinateur joue avec ces figures imposés, jusque dans une fameuse prise d'assaut de la cité rebellée, survolée par un curieux dirigeable tiré par un nom moins curieux reptile ailé.
C'est superbe de bout en bout.
Même si elle n'est pas fondamentalement originale, la série Sillage est un space opera – ou une succession de planet opera – particulièrement brillant, si équilibré et si enthousiasmant qu'il en devient l'un des modèles du genre. En abordant à chaque fois une nouvelle planète totalement différente – une tradition qui rappelle certaines séries télévisées – les auteurs peuvent aborder différents thèmes, différents styles, différents genres, en gardant toutefois un fil conducteur et un ton unique. Le sense of wonder, l'exotisme et le divertissement sont au rendez-vous, sans oublier toutefois la possibilité qu'a la SF de parler des travers de notre monde.
Bref, un véritable « must », comme on dit.
Pascal Patoz nooSFere 01/10/2001
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