Les Ftoross forment un peuple misérable auquel on confie les plus basses besognes. Cette main d'œuvre bon marché n'a même pas les moyens de s'offrir les médicaments trop coûteux dont profitent les races plus riches qui les exploitent... Désespérés, ils n'ont plus d'autres solutions que d'attirer l'attention par de spectaculaires attentats-suicides. C'est la raison pour laquelle Nävis est la victime d'une prise d'otage : sa mort serait un profond traumatisme pour Sillage, car Nävis étant la seule humaine du convoi, cela équivaudrait à un génocide. A cette occasion, Nävis va découvrir la terrible inégalité qui existe entre les différents peuples de Sillage. Révoltée, elle va rapidement prendre faits et cause pour les terroristes — le syndrome de Shhtö Kohllms !
Nouveau changement de ton pour cette cinquième aventure de Nävis — au titre imprononçable pour un terrien moyen. Cette fois, nous ne découvrons pas une nouvelle planète car l'action se déroule entièrement au sein même du convoi interstellaire. En outre, l'intrigue est particulièrement en phase avec l'actualité puisqu'elle aborde le complexe problème du terrorisme, qui est toujours une question délicate à traiter, surtout dans une bande dessinée d'aventures où la nécessité d'une narration dynamique peut conduire à des simplifications abusives. Certes, le profond désespoir des Ftoross suscite immédiatement la compassion de Nävis et celle du lecteur, mais ont-ils une part de responsabilité dans leur propre sort ? Ce dernier point est éludé par le scénariste qui utilise surtout l'intrigue pour dénoncer une situation similaire à la fracture Nord-Sud et le rôle pervers des nations riches sur le développement des pays du tiers-monde : « La pauvreté est une des ressources de la richesse. » Pourtant, Jean-David Morvan réussit à éviter l'écueil d'une trop grande simplification grâce à un dénouement désespéré : alors que l'on s'attend à ce que Nävis trouve de justesse une solution rapide aux problèmes des Ftoross, elle se heurte aux blocages politiques et économiques ainsi qu'à l'indifférence et au cynisme des autres ethnies... Une issue est sans doute envisageable, mais seulement à long terme, et sans doute après bien des morts encore...
C'est dire si cet aventure ambiguë risque de dérouter les amateurs de happy end massifs et carrés. Confrontée aux réalités adultes, la fougue adolescente de Nävis se voit bridée par un douloureux apprentissage de la maturité et de la résignation. Que faire sinon se tourner vers d'autres aventures ? Loin des séries interminables où tout nouvel épisode semble un décalque du précédent, chaque album de Sillage a décidément une atmosphère et une thématique qui lui sont propres. Morvan et Buchet continuent ainsi de nous surprendre. Et c'est tant mieux !
Pascal Patoz nooSFere 05/09/2002
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