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« Il est encore fécond, le ventre d'où a surgi la bête immonde. » (Bertolt Brecht)
Pour le commando isolé dans une bas scientifique perdue sur Sibéria, lointaine planète glaciaire livrée aux conditions les plus extrêmes, ce qui ne devait être qu'une mission de routine tourne bientôt au cauchemar.
Ces neufs hommes et femmes en sursis, isolés pour vingt-quatre heures, vont tisser des liens aussi intenses qu'éphémères. C'est la mission Zéro absolu, une mission où l'on autorise cent pour cent de pertes humaines, mais aucun dégât matériel. | |
« Autrefois nous nous battions contre des idées, des peuples que nous pouvions comprendre. Ca n'était pas plus juste pour autant… mais au moins nous pouvions comprendre. » (page 33).
Les membres du commando sont confrontés à l'inconnu, à l'incompréhensible, à quelque chose d'inaccessible à la perception humaine… Dans cet album — qui clôt la trilogie —, de nombreuses clefs nous sont pourtant livrées. Les comportements étranges des personnages, les images déplacées qui perturbent la linéarité du récit et qui rompent la monotonie d'un huis clos étouffant, les vidéos qui semblent réinterpréter la réalité, tout ce qui déroutait et intriguait prend cette fois un sens.
Dès la dernière page tournée, nous sentons la nécessité de relire l'ensemble de la trilogie à la lumière des faits exposés dans ce dernier album. Les images chaotiques — qui faisaient résonner en nous des réminiscences incertaines — s'éclairent en partie. Il demeure des zones d'ombre, des scènes sujettes à discussion, et l'intrigue se prête à diverses interprétations, mais c'est évidemment ce qui rend passionnant l'ensemble.
Car la solution n'est pas exposée platement, et les significations de ces scènes étrangement emboîtées demeurent soumises à la subjectivité. Le scénario, la construction et la diversité graphique — à la fois dérangeants et stimulants — exigent en effet beaucoup du lecteur. Celui-ci doit se charger d'une bonne part du travail, et chacun pourra ainsi, selon son vécu ou sa culture, lire et comprendre Zéro absolu de manière différente…
L'album est très abouti graphiquement. Une fois encore, il existe une opposition marquée entre la trame principale — faite de scènes intimistes centrées sur des personnages très contrastés, avec une tension particulière qui émane des visages — et un déferlement d'images diverses. Christophe Bec est apparemment à l'aise dans tous les registres, qu'il s'agisse de mettre en scène les lumières de l'espace, le vent glacial de la surface de Sibéria, ou un western classique. Il joue sans cesse avec les références, et s'amuse à faire se répondre des cases, voire des planches entières, poussant le lecteur à s'interroger sur l'image, comme le faisait par exemple Oliver Stone à travers un véritable matraquage visuel dans Tueurs-nés.
L'image est donc autant signifiante que le texte, menant un discours complémentaire et parallèle à celui-ci. Elle n'est plus la simple illustration d'une intrigue, ce qui est finalement assez rare.
A chacun de trouver la morale, s'il y en a une. A l'évidence, cette histoire futuriste dessine en filigrane une réflexion qui porte surtout sur notre siècle et son imagerie, ses mythes et ses croyances, ses peurs et ses hontes. Le troisième acte s'ouvre d'ailleurs sur les échos de messages radios du XXe siècle, qui continuent à parcourir et à parasiter le silence spatial…
En conclusion, Zéro absolu est sans doute l'une des plus fortes et des plus intrigantes séries de SF actuelle, mais elle s'adresse à un public qui recherche bien davantage qu'une histoire purement distrayante.
Pascal Patoz nooSFere
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