En Russie, la centrale nucléaire de Tiksy est « à l'image du pays : toute cassée à l'extérieur et pourrie de l'intérieur. » Même s'il neige, Davor Lenko, réchauffé par la vodka, doit y faire sa ronde, « au cas où des terroristes seraient assez cons pour venir se geler la kalashnikov dans le coin. » Mais le voici qui se perd dans les couloirs. Il perçoit une vive lumière et est subitement projeté dans un étrange futur, où les prêtres du Saint Royaume guettent le réveil du Kan-Cer et où la très Sainte Inquisition domine le peuple en lui distribuant des hosties. Ces hosties sont le seul antidote qui peut protéger des nuages rouges et empêcher la transformation d'un homme en un « difforme ». Grâce au code barre tatoué dans la paume de sa main, Davor est rapidement reconnu comme le prophète redouté par l'Inquisition, comme celui qui « ouvrira le cœur des eaux lourdes » et délivrera les difformes...
Ce deuxième volume des Entremondes n'a rien de commun avec le précédent, à part la projection d'un individu dans un monde étrange. Il ne s'agit pas ici d'un purgatoire peuplé de créatures de fantasy, comme dans Lazarr, mais d'un futur bien sombre, un monde post-apocalyptique dominé par des fanatiques religieux et où les mutants sont peut-être l'avenir de l'humanité. Davor Lenko est entraîné dans un troublant voyage temporel durant le temps d'une explosion nucléaire. Simple hallucination ou véritable projection à travers une brèche de l'espace-temps ? Seul l'énigmatique Damon Ratchi pourrait sans doute le dire. En tout cas, le résultat est une boucle temporelle où l'on pourrait voir naître un beau paradoxe...
Les Eaux lourdes est une curieuse fable qui oscille entre humour et noirceur, dérision et émotion. Le dessin, très éloigné de toute représentation réaliste, est d'une remarquable expressivité, conférant à l'album une ambiance sombre et angoissante, accentuée par des noirs profonds et l'utilisation de teintes vertes, ocre et rouge particulièrement oppressantes. C'est aussi un album magnifique sur le thème du nucléaire, à la dénonciation d'autant plus efficace qu'elle est intelligemment allusive, masquée derrière un humour incisif et le destin singulier d'un anti-héros bien sympathique.
Pascal Patoz nooSFere 02/01/2002
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