Qui n'a pas rêvé de figer le temps, de pouvoir se déplacer seul au milieu d'un univers immobile, afin de réparer une bêtise, d'infléchir le cours des événements, de pénétrer en des lieux interdits, de jouer au super-héros ou au voyeur ? C'est ce pouvoir que possède Yann, un pouvoir incroyable, plus puissant que la simple invisibilité, un pouvoir sans doute inné mais qui s'est révélé brutalement au cours d'une menace vitale, comme un réflexe de défense instinctif. Depuis, il a tout essayé, voleur ou justicier, de plus en plus solitaire et de ce fait de plus en plus désespéré.
Mais au cours de ces années qui s'écoulent, l'étrange pouvoir de Yann ne peut pas passer inaperçu des caméras de surveillance... Il devient alors l'objet d'une chasse à l'homme impitoyable, la mise à mort étant de rigueur devant un phénomène aussi incontrôlable ! Le scénariste a eu là une excellente intuition : à l'heure où les caméras de surveillance sont omniprésentes, que vont devenir nos super-héros ? Comment Superman pourrait-il demeurer incognito s'il se transforme sous les yeux de ces espions insidieusement disséminés à tous les coins de rue ? Yann n'est à l'abri nulle part, car ce sont les gouvernements du monde entier qui se lancent à sa poursuite. Comment échapper à une telle traque ?
A partir d'une idée toute simple, Kaminka construit un scénario rigoureux et impeccable. La lente dérive de Yann, qui ignore quel sens donner à son don, est remarquablement bien rendue, sans aucune lourdeur narrative malgré les nombreux monologues introspectifs. On s'identifie sans mal à ce personnage ordinaire en proie au doute et à la tentation, incapable de trouver une façon réellement valable d'utiliser son pouvoir. Le scénariste évite les facilités et le dénouement — qui n'est qu'un « début » puisque ce tome est l' « Opus 0 » — est inattendu, d'autant plus qu'il condamne l'histoire d'amour qui paraissait devoir être l'un des moteurs du récit.
Le dessin de Vedrines, plutôt réaliste malgré un trait volontiers anguleux — notamment pour les visages — , suggère parfaitement ce climat de détresse et de mélancolie. L'opposition entre les scènes en couleur et les scènes « bleues » est un artifice simple mais très efficace pour suggérer l'arrêt du temps, et on n'éprouve ainsi aucune peine à s'immerger dans cette étrange histoire.
Cet Opus 0 est donc une jolie surprise, particulièrement prenante. Cet album a en outre l'avantage de pouvoir se lire indépendamment : bien qu'il semble ne constituer qu'un prologue à une histoire plus vaste dont on se demande bien vers quelle direction elle va nous entraîner, on peut le lire comme un one shot tout à fait réussi. A découvrir !
Pascal Patoz nooSFere 24/10/2002
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