Elle était très attendue — surtout sans doute parce que sa parution avait été repoussée pour cause d'obligation de refaire les dessins — et la voilà : La compagnie des glaces (Cycle Jdrien 1 : Lien Rag). Hormis ce titre, le nom de l'éditeur (Dargaud) et un auto-collant (Le roman BEST-SELLER enfin ADAPTE EN BD !), on trouve en haut à gauche « d'après l'œuvre de G.-J. ARNAUD » et à droite « JOTIM ». Le dessin de couverture propose un personnage tellement emmitouflé qu'il est difficile de lui donner une taille ; pour accentuer ce « flou », il est placé devant une grosse roue de locomotive dont il donne l'impression d'être le « rayon », le tout dans une dominante rouge et donc chaude ( ?). Certains — j'en suis sûr — se sont précipités sur l'histoire sans prendre le temps de lire les explications qui présentent Jotim et la façon dont le projet a été conduit 1. Ils ont eu tort car cela leur aurait évité une grosse déconvenue : celle de rester sur leur faim, puisque cet épisode de 46 pages ne correspond qu'à la moitié du premier des 63 roman-épisodes de la première série. A moins de multiplier les équipes pour réaliser 12 albums — 6 romans — par an, la fin de l'histoire sera pour nos petits-enfants (mais quelques lecteurs des origines doivent bien être grands-pères ou sur le point de l'être).
Première remarque : pourquoi avoir divisé la Compagnie en cycles ? et surtout pourquoi intituler le premier : Jdrien ? C'est avec le Kid et Kurts un des rares personnages principaux à mourir. Deuxième remarque : pourquoi avoir délayé le récit d'Arnaud alors que l'on sait bien qu'un bon dessin vaut mieux qu'un long discours... ? On se retrouve à douter de l'intérêt « dramatique » ou « informatif » de certaines cases — les informatives semblant glissées au petit bonheur. Troisième remarque : pourquoi avoir modifié — sans raisons manifestement valables — le récit lui-même ? Avec par exemple la réunion dans l'immeuble...et Lien Rag tenant une carte postale — étrange insertion d'un Lien enfant. Ces trois remarques touchent à l'histoire elle-même mais posent aussi le problème du passage d'un médium à un autre... Un vieux proverbe italien dit Traduttore traditore — inutile de traduire j'espère. Le passage du texte à l'image — BD, TV ou cinéma — ne satisfait presque jamais les lecteurs du texte — je ne connais pour ma part que deux réussites : Le désert des Tartares et Nocturne indien — tandis qu'à l'inverse, certaines novellisations plaisent. En effet, pourquoi figer une bonne fois pour toutes ce que chaque lecteur imagine à sa façon ? Pourquoi heurter l'imagination des autres ? J'allais écrire « si l'on en manque ». Pourquoi casser l'imaginaire de l'auteur en le « réduisant » nécessairement sous peine de bavardages dépourvus d'intérêts ? Pour Arnaud, auteur feuilletonesque, une petite réduction serait acceptable ; mais que dire de la manière dont les états d'âmes des personnages et le jeu sur les mots sont escamotés dans l'adaptation du Cycle de Tschaï de Jack Vance ?
Pour Arnaud comme pour Vance ne reste donc que le visuel, le visible... Première question : Pourquoi avoir dessiné des personnages aussi RAIDES — je sais, il fait froid, mais tout de même — , de cette raideur photographique quand le temps de pose est trop long... ? Une raideur qui renvoie plus aux automates qu'aux arrêts sur images ? Deuxième question : Pourquoi a-t-on souvent l'impression que les têtes des personnages changent non pas dans le sens de toutes les expressions qu'un visage peut prendre mais dans le sens de l'absence de travail ou de suivi du graphiste ? (Il leur arrive d'avoir l'air complètement nunuche : Lien bouche béante sur trois cases, et on se demande bien pourquoi). Troisième question : Pourquoi ce parti pris non justifié de montage pseudo moderne éclaté des cases dans les planches ? Pourquoi une telle absence de style personnel ? Pourquoi cette absence manifeste de recherche pour trouver une unité graphique originale ? Quatrième (double et dernière) question : Pourquoi ne pas avoir vraiment respecté une des données de la Compagnie qui veut que tout doit pouvoir bouger à tout moment ? Et pourquoi un tel manque de proportion : rien ne donne l'impression d'être mesurable à une échelle précise ?
Donc, on a le sentiment général de lire quelque chose d'inachevé, de fait dans l'urgence, plus pour respecter des délais que le texte initial — même si l'on veut laisser aux créateurs une part de liberté, on s'inquiète de ce que celle-ci choisisse une voie en super nova plutôt qu'une voie même oblique capable d'emporter le lecteur... On a aussi l'impression d'un jeu entre les souvenirs de lecture, du lecteur et les choix du récit, du graphisme. Bonne lecture quand même ! Car prenez au moins la peine de vérifier ce que j'avance....
Notes : 1. Voir la présentation de ce Studio de création sur le site officiel. (note de nooSFere)
Noé Gaillard nooSFere 01/10/2003
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