Dans la Barcelone du futur, les robots se chargeront de tout tandis que les hommes désœuvrés pourront se consacrer à leurs seuls loisirs. Pour les occuper, les prochaines émissions de télé-réalité exigeront toujours plus de vérité, de violence et d'émotion. Et que rêver de plus « excitant » que de suivre un véritable policier dans la traque de criminels sanguinaires, de serial killers déments ?
Le futur décrit par Morvan possède donc deux caractéristiques essentielles : l'omniprésence de robots et le succès envahissant de la télé. Pour les robots, il rend ouvertement hommage à Isaac Asimov en reprenant les trois célèbres lois de la robotique et en ouvrant l'album sur une dédicace « Respect à Isaac Azimov » (sic pour le Z malheureux). Morvan y ajoute même une quatrième loi (voir la quatrième de couverture) qui devrait éviter les problèmes posés par L'Homme bicentenaire — titre d'une nouvelle d'Asimov reprise au cinéma avec Robin Williams dans le rôle principal — ou par les réplicants de Blade Runner. Cette quatrième loi soulève cependant une intéressante question de définition : à partir de quand commence l'émotion ? Comment programmer un robot pour lui apprendre à reconnaître cette émotion qui lui est interdite ? Pour l'instant, Morvan n'aborde pas le sujet et ne cite dans son récit que la première des trois lois. Pour la télé, le scénariste rend également hommage à un autre grand de la SF, mais de façon moins explicite puisque seuls les amateurs de SF décrypteront le nom du flic Norman K. Barron. Pour les autres, il n'est pas inutile de préciser que Jack Barron est le personnage le plus célèbre inventé par Norman Spinrad — dans Jack Barron et l'éternité, une fameuse dénonciation du racolage télévisuel. On peut penser que le K est un autre clin d'œil à Philip K. Dick. Enfin, pour terminer sur le sujet des sources d'inspiration, Morvan explique dans le making of qui précède le récit que le concept de la série est né à la vision du film de Kathryn Bigelow, Strange days, et bien sûr à celle des diverses émissions de TF1 et de M6, télé-réalité ou télé-poubelle, au choix.
L'itinéraire de la jeune Oshii qui de spectatrice assidue va passer au statut de flic-actrice en découvrant au passage les coulisses et les mensonges du spectacle est évidemment une intrigue bien ficelée. Trop bien peut-être, car elle réserve peu de surprise et on a malgré tout une impression de déjà vu : la télé américaine filme déjà les poursuites policières en voiture, et plusieurs films comme La Mort en direct ou Le Prix du danger traitent de thématiques très voisines. Même en BD, la série Les Jeux du crocodile de Bogue et Modem — alias Cothias et Hé — abordait déjà une question similaire, tandis que la nouvelle série G.A.T., de Améziane et Corentin, se montre plus caustique et incisive sur la télé-réalité et la presse people. On peut même éprouver un certain malaise car, sous couvert de cette satire finalement assez timide, Reality show applique les mêmes recettes que celles qui sont dénoncées. Avec l'action au premier plan, un peu de sexe et un serial killer bien sadique, on pourrait trouver l'album plus racoleur que véritablement critique — si la bonne foi ne Morvan n'était pas si évidente... Autre problème, l'arrière-plan social n'est pas parfaitement rendu — au moins dans ce premier tome. Il faut les explications du making of pour bien comprendre les intentions des auteurs. Quand Morvan affirme « si vous lisez la BD sans voir les robots à chaque case mais que leur présence vous laisse un sentiment d'omniprésence, c'est que nous avons gagné », on ne peut s'empêcher de penser « perdu » : on ne sait pas parfaitement de quoi vit la majeure partie de la population — tout le monde devient-il « pauvre fonctionnaire » comme cela semble sous-entendu ? — et les robots semblent au contraire assez discrets, surtout dédiés à quelques tâches ménagères.
L'album est manifestement conçu comme devant avoir une efficacité « cinématographique » — en témoigne une nouvelle fois le making of où l'on parle de « l'équipe de production » et du « design des lieux de tournage ». Le dessin de Porcel cadre avec cet objectif et s'avère plus efficace dans les scènes d'action que dans les scènes plus intimistes.
En fin de compte, Reality Show est un album distrayant et efficace, mais — pour l'instant ? — pas tout à fait à la hauteur de ses ambitions affichées. La satire n'est pas pleinement satisfaisante, sans doute parce que Morvan n'a pas réussi à imaginer pour demain quelque chose d'aussi stupide que ce dont la télé est déjà capable aujourd'hui...
Pascal Patoz nooSFere 28/07/2003
La jeune Oshii devient l'assistante de Norman Barron (plus gros, le clin d'œil, c'était pas possible ?), vedette de la télé-réalité qui traque en direct les tueurs et met en scène sa vie privée pour le plus grand bonheur de ses fans. Oshii va découvrir l'hypocrisie et la sordide réalité derrière les paillettes du reality-show... Dans une collection « Fictions » qui n'a pas encore fait ses preuves, une honnête série B manquant d'idées neuves pour emporter l'adhésion. Attendons la suite, qui semble monter en puissance. (Note : bof, yapatrèbon)
Philippe Heurtel Bifrost n°32 01/10/2003 Mise en ligne le 01/12/2005
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