Mon corps s'est éparpillé en mille gouttes, mais je suis entière en chacune d'elles. Je n'ai qu'à appeler et elles me répondent. J'appelle et je réponds en même temps.

     La Ville est déchirée par le conflit qui oppose les deux corporations majeures que sont les bouchers et les porteurs d'eau. Plusieurs meurtres ont été perpétrés, soulevant une haine trop forte pour pouvoir désormais compter sur la raison. Mais cette lutte fratricide n'est-elle pas le fruit d'une manipulation orchestrée par une troisième caste, celle des forgerons, sous la conduite d'une secte nommée « la grande fournaise » ?

     Tels Roméo et Juliette, Demi-Lune le boucher aime Sulis la porteuse d'eau. Après l'accomplissement d'un rite, celle-ci a changé de nature : elle est devenue fluide comme l'eau, capable de se couler dans les canalisations, de s'éparpiller en gouttelettes, d'imprégner les tissus et même de se reconstituer après évaporation. Ces nouveaux pouvoirs lui permettront-ils d'aider Demi-Lune à sauver la cité ?

     Le scénario a la simplicité et l'évidence d'un conte. L'amour impossible mais triomphant, l'opposition du feu et de l'eau, le monstrueux méchant qui veut le pouvoir absolu, tout cela forme une jolie fable, mais sans grande surprise.

     Tout l'intérêt réside donc dans le traitement, et là l'originalité est au rendez-vous. Car si les dialogues emphatiques n'émeuvent guère, le travail graphique de Silvio Cadelo ne ressemble à aucun autre. Il est d'ailleurs si particulier qu'on pourra tout aussi bien l'admirer que le détester. On pourra apprécier la finesse du trait ou en regretter la relative raideur. On pourra s'enthousiasmer pour ces couleurs irréelles, alternance de couleurs vives froides et chaudes qui évoquent la glace et le feu, ou au contraire les trouver vaines. Bref, on pourra être sensible à la magie d'un univers graphique aux codes très personnels, ou rester de marbre face à sa froideur et à son artificialité.

     Chaque lecteur devra ainsi se faire son opinion. Il suffit de feuilleter l'album pour que chacun puisse immédiatement jauger son attirance pour l'univers graphique de Cadelo. Il y a fort à parier que la lecture de l'histoire ne changera pas sa première impression, puisque l'intérêt réside bien plus dans le dessin que dans l'intrigue.

     Demi-Lune, de la caste des Bouchers, et Sulis, de la caste des Porteurs d'eau, découvrent que les Forgerons intriguent pour prendre le pouvoir. Devenue liquide, Sulis se découvre des dons qui sauveront peut-être la ville... Après un premier tome peu palpitant (du Roméo et Juliette version fantasy), ce second et dernier opus l'est bien davantage.

     (note : Ahouaip ! trèbueno...)