Venisalle est « une ville de masques, de peur et de maux cachés ». Si elle évoque Venise, elle est une ville purement imaginaire, principalement inspirée par la France du XVIIIe siècle. Un tout-puissant Ministère de l'Inquisition règne sur cette cité où aucun péché n'est en apparence toléré et où les habitants portent des masques pour afficher leur honte et leur désir d' expiation. Une affectation le plus souvent sans sincérité, puisqu'ils se livrent par ailleurs à des orgies endiablées, toujours sous la protection de leurs masques, dans un lieu interdit aux agents de l'Inquisition et ironiquement baptisé le « Confessionnal ». Vol de Galles est un redoutable inquisiteur, inspiré par la Sainte de Massard, figurée par une monumentale statue à laquelle il confie ses doutes et ses appréhensions. Car Vol de Galles possède désormais un masque lui permettant de voir les démons véritables qui prennent possession de certains humains, ce qui ébranle sa foi plus que ça ne la renforce.
Dessinateur des Zombies qui ont mangé le monde — une série au ton radicalement différent — Guy Davis met en scène une remarquable figure d'inquisiteur, un justicier masqué en qui l'on devine un ancêtre du super-héros moderne. Son intérêt réside surtout dans le questionnement incessant qui assaille ce chasseur de démons. Le lecteur ignore s'il affronte de vrais démons ou s'il est en proie à des hallucinations qui lui font exécuter de simples hommes. N'est-il pas lui-même un démon pire que les pauvres créatures qu'il traque inlassablement ? Ne sert-il pas le Diable en croyant servir une sainte ?
La double personnalité du personnage est très intéressante, aussi bien dans ses actions que dans sa représentation graphique. Quoi de commun entre cet insaisissable fantôme effilé qui surgit dans la nuit pour tuer sans pitié et ce noble massif et hésitant, qui devient même un petit homme vulnérable dans sa nudité vieillissante lorsqu'il se présente aux Enfers. De même, l'illustration des démons est remarquable. Des formes insaisissables, sans cesse changeantes, qui évoquent les créatures difformes et absurdes d'un Jérôme Bosch. Le Seigneur des Enfers est notamment représenté de manière très originale, sous la forme d'une créature chevaline surmontée d'un crâne mais dont la véritable tête est située sous une queue faite de tentacules, au-dessus d'un volumineux scrotum-jabot, et dont la silhouette rappelle bientôt celle de l'inquisiteur.
Danse macabre brosse le magnifique portrait d'un personnage ambigu, qui oscille entre la figure d'un héros sauveur de l'humanité, celle d'un bourreau exécutant simplement sa mission et celle d'un psychopathe mystique. Il permet une passionnante réflexion sur la nature du Bien et du Mal et sur la validité même de ces concepts. Oeuvre unique et splendide, que certains lecteurs trouveront peut-être difficile en raison de son propos et de son apparence un peu austères, Le Marquis est tout simplement un chef d'oeuvre !
Pascal Patoz nooSFere 01/03/2005
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