Ouais, hébin en voici un autre de coup de cœur ! Parce que, bon sang ! ça faisait un sacré bout de temps qu'on avait pas vu ça. Pas vu d'abord un nouvel éditeur de BD (un vrai, un dur, qui fait de beaux albums grands formats bien cartonnés, tout ça, tout ça), et puis aussi, surtout, un petit gars venu d'on ne sait trop où, Eric Liberge, qui développe avec talent un univers d'une extrême originalité.

     « Sur Terre, on nous parlait d'une grande lumière... » Tels sont les premiers mots de Victor Édouard Tourterelle, cartographe de profession, lorsqu'il se réveille à l'état de squelette dans une grande plaine emplie de caillasses sur fond de ciel d'encre, et qu'il prend conscience qu'après tout, peut-être, il est mort (après avoir marché sur une petite voiture que son fils a laissé traîner dans la salle de bains, d'où glissade, d'où cassage de cou — comme quoi la mort, y a pas à dire, c'est vraiment un truc con). Commence alors pour Victor Édouard, rebaptisé Mardi-Gras Descendres, un extraordinaire voyage dans le monde des morts, entre humour et désespoir, étonnement et horreur : un périple dans Sainte-Cécile du District 47 Nord, ville cyclopéenne aux règles obscures — une manière de monstruosité kafkaïenne qui parait fonctionner en vase clos. En fait une odyssée aux allures de quête... Quête de quoi ? De réponses, naturellement Car dans cet environnement totalement décalé, les questions sont nombreuses. Et la première, l'essentielle : où Mardi-Gras Descendres a-t-il bien pu tomber ? Est-ce donc cela l'Enfer ? A moins qu'il ne s'agisse du Purgatoire...

     Éric Liberge, avec Monsieur Mardi-Gras Descendres, son premier album, s'impose comme une révélation. D'abord parce que, à l'heure où les héros qu'on qualifiera de « gros » (seins, flingues, gueules..) envahissent pesamment les supports, son histoire de mort-vivant en quête de réponses et de l'âme qu'on lui a volée fait figure d'oiseau rare. Ensuite parce que son approche graphique, ici en noir & blanc — et aussi peu conventionnelle que le scénario — révèle une maîtrise tout simplement enthousiasmante Il y a dans ces soixante-quatre planches de véritables petits chefs-d'œuvre d'ambiance, de dynamisme et de réalisme, des scènes d'une force saisissante (et on imagine aisément le casse-tête que représente le pari de dessiner presque exclusivement des squelettes tout au long d'une série d'albums, le tout en leur conférant des personnalités et de véritables expressions faciales — et puis, je vous le demande, qu'est-ce qui ressemble plus à un squelette qu'un autre squelette, hein ?).

     Au final, on referme Monsieur Mardi-Gras Descendres avec un double sentiment : le plaisir d'abord d'avoir découvert un nouveau et très prometteur talent ; le doute aussi, accompagné de l'inévitable frustration liée à l'attente du prochain album afin de savoir si oui ou non, Liberge confirmera. Une inquiétude en définitive toute relative... Que dire de plus ? Ah ouais, je sais : encore ! ! !