Rogon le Leu est une série qui mêle habilement histoire et légende. L'action se situe pour l'essentiel en Bretagne au tout début du VIIème siècle. Le contexte historique n'est pas lourd mais rigoureux : on suit ainsi les pérégrinations de Chram, le fils du roi Clotaire, personnage ayant bel et bien existé. Idem pour l'architecture : Convard et Chabert nous épargnent l'anachronisme du château féodal planté en plein haut moyen-âge au profit d'un fortin en bois beaucoup plus vraisemblable. A l'arrière fond historique s'ajoute en douceur la dimension légendaire avec des personnages du mythe comme Viviane, la dame du Lac, des créatures merveilleuses et un héros qui appartient lui aussi au peuple de la forêt : Rogon le Leu, l'homme loup. Bien que faisant montre d'un manifeste souci de sobriété, le dessin illustre avec subtilité la dimension magique et poétique de cet univers. Le trait n'est pas virtuose et c'est surtout un usage intelligent de la couleur qui crée les ambiances idoines et qui fait l'originalité du graphisme, Les différents épisodes de cette série ont l'avantage de pouvoir être lus indépendamment, bien que l'on retrouve les personnages principaux de l'un à l'autre. Ce troisième opus est à mon goût le meilleur : plus abouti, plus coloré, plus pêchu (ce qui veut aussi dire que j'avais trouvé les deux premiers un peu trop mous.). Le chien rouge nous raconte l'histoire d'un groupe de moines en fuite, porteurs d'un coffre dont le contenu secret attire les convoitises. C'est chez Tryphina, la compagne de Rogon le Leu, qu'ils trouvent gîte et protection, avant que ne commence une sordide série de crimes crapuleux... La fin réserve une belle surprise, on regrettera simplement de deviner un peu vite qui est le mystérieux « gros méchant ». Les lecteurs attentionnés auront remarqué que ça n'est pas la première fois que l'on parle de Didier Convard dans Bifrost, et pour cause : Convard est un homme de métier, un artisan infatigable à qui l'on doit une quinzaine de séries parmi lesquelles Finkel, Neige, Les héritiers du soleil, Polka, Chats (qu'il dessine lui-même)... Rien d'étonnant donc à ce que le scénario soit bien ficelé. Quant à Alexis Chabert, qui dessine là sa première série BD, il avoue passer beaucoup de temps sur ses planches, qu'il réalise en couleur directe pour notre plus grand plaisir.
Eteyas Bifrost n°10 01/10/1998
|