Thomas Cheilan conçoit un univers incontestablement magique, totalement à contre-pied de tout ce qu’a pu être la réalité et la fiction. Les hommes vivent en paix ! Une paix planétaire ! Faut-il être imaginatif et rêveur pour créer une telle situation !
Dans un cadre contemporain, l’ONU, qui a intégré un conseil composé d’Initiés, veille à l’entente entre les peuples sans se mêler des affaires intérieures d’un pays, tant que celles-ci restent sans incidences sur l’équilibre du monde. C’est le Pacte de Gherstein qui a imposé cette situation en 1830, lorsque les magiciens se sont révélés au monde des humains. L’univers se partage, depuis cette date, entre les Initiés (à la magie), les Non-Initiés (les humains) et les Bannis (ceux qui ont refusé le pacte).
Dans ce paysage idyllique, un devin prévoit sa mort et surtout une chose inconcevable : le retour de la guerre. Mais, contrairement à son habitude, le devin reste impuissant à modifier son futur depuis le présent. Il est victime d’un complot de magie. Ezane Watkins, une anglaise aux yeux verts de 987 ans, une sorcière du clan de la Salamandre, est mobilisée pour enquêter. Avec son nouvel équipier, un humain du nom de Wayne Stuckett, elle découvre que Le fléau, un Banni, est sorti de sa retraite. Il fait le lien avec une autre réalité en se prenant pour une grand-mère japonaise traumatisée par Hiroshima. À l’ONU, les Non-Initiés veulent que les Initiés utilisent leur magie pour résoudre les problèmes de la société humaines : croissance économique, insécurité, santé, espérance de vie…
Thomas Cheilan n’est pas un naïf inconscient de la réalité. Il sait que, sous le vernis de la paix, bouillonnent les intérêts, les enjeux politiques et de pouvoirs. Il illustre l’art de l’espèce humaine à reporter sur d’autres leurs propres erreurs et leurs propres responsabilités. D’anciens ressentiments, de vieilles condamnations ressurgissent. Par exemple, le responsable du Conseil revient sur les convictions d’Ezane qui, en 1575, a eu une liaison avec un loup-garou et qui, depuis, défend la cause des Bannis qui n’acceptent pas leur défaite. Une superbe interrogation sur l’espèce humaine, sur des « êtres supérieurs » et les relations entre les deux. Ici, les Initiés prennent avantageusement la place des dieux. Le scénariste nous livre une intrigue dense, si foisonnante d’ailleurs que la relecture s’impose pour en saisir toutes les subtilités.
Le dessin de Dimitri Armand, les couleurs de Jérôme Maffre mettent subtilement cette histoire en valeur. Le premier signe un graphisme dynamique, élégant, correspondant à l’esprit du récit et le second donne une variation de tonalités séquencant heureusement les diverses phases de l’intrigue.
Hiroshima est un premier tome qui emporte l’adhésion pour cette construction brillante, pleine de subtilités, de rapprochements avec notre société et d’allusions à notre histoire, pour un récit tonique aux éclairages novateurs.
Serge Perraud nooSFere 27/10/2008
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