Aux confins de l'univers, alors que la planète Krypton s'apprête à connaître un cataclysme, un scientifique et sa femme placent leur fils unique, encore bébé, dans une fusée. Sa destination ? Une planète lointaine où il pourra vivre le reste de son âge, avantagé par la présence proche d'un soleil jaune qui confère à son espèce des pouvoirs dépassant l'entendement. La fusée décolle, entame un long voyage et abandonne Krypton qui explose derrière elle dans le vide infini, ne laissant aucune trace de l'histoire et de la culture de sa civilisation. Nouveau décor : la campagne du Kansas, États-Unis. Une météorite atterrit dans un champ sous le regard éberlué de Jonathan et Martha Kent, un couple de fermiers. A l'intérieur, ils découvrent un jeune garçon aux capacités étonnantes, qu'ils décident d'adopter et de baptiser Clark. C'est ainsi que tout a commencé. Ainsi que Jerry Siegel et Joe Shuster, deux enfants d'immigrés juifs, un an avant la Seconde Guerre Mondiale, ont décrit la manière dont un bébé échappait à un holocauste pour se réfugier aux USA, dont il devait adopter toutes les valeurs. Dans cette optique, Superman se révèle une œuvre très personnelle, beaucoup plus profonde qu'il n'y paraît et étroitement liée à la vie de ses auteurs.
Superman fut souvent accusé (par des personnes n'ayant jamais lu ses aventures, de toute évidence) d'être l'icône d'une Amérique arrogante et conquérante, plutôt républicaine ; cette réédition en album des tout premiers épisodes du super-héros permet de remettre les pendules à l'heure. Tout d'abord, il est intéressant de constater que Siegel et Shuster ne se sont jamais embarrassés d'établir une longue exposition à leur histoire (procédé explicable par l'espace extrêmement réduit disponibles dans les journaux où fut initialement publié Superman) : les origines de Kent sont décrites en une page, idem pour son embauche au Daily Planet, etc. Ensuite, le Clark Kent original apparaît un peu moins timide et maladroit que dans les films, mais tout aussi coincé ; grand gaillard sorti de sa campagne, il paraît en décalage constant avec l'environnement urbain où il doit évoluer : Metropolis. Clark Kent incarne ainsi l'homme lambda, dédié à un job de petit reporter anonyme, incapable de séduire la femme dont il est secrètement amoureux (pour l'anecdote, Loïs a réellement existé, et l'un des auteurs de Superman en était fou), mais qui peut s'épanouir et incarner « l'Homme Idéal », fort et admiré, lorsqu'il change d'identité : autrement dit, un exutoire, un fantasme pour le lecteur qui pourra s'identifier à lui, et se projeter dans ce pendant moderne des héros mythologiques grecs. D'un point de vue religieux, Superman est également le messie des prophéties (juives ou chrétiennes), tombé du ciel et « offert » par son père à l'humanité (dans une logique plus chrétienne, pour ce qui est de cet aspect « enfant divin ») : il appartient donc à l'humanité tout entière, et pas seulement aux États-Unis. Nous avons déjà abordé cette fausse image politisée à Droite collée à Superman, et c'est sûrement là l'élément le plus surprenant de ces premiers épisodes : nous découvrons qu'il fut à l'origine un personnage particulièrement engagé dans les luttes sociales, n'hésitant pas à punir les patrons-voyous en les plaçant face à leurs responsabilités, s'en prenant à des directeurs de casino ou dénonçant les mauvais traitements subis par des prisonniers, s'engageant dans des actions que, dans notre contexte moderne, nous pourrions qualifier d'actes militants naturellement marqués à Gauche. On est donc loin du Superman à la botte d'un pouvoir d'Ultra-Droite, caricature reprise par Frank Miller dans Dark Knight Returns où il obéit aveuglément à un pseudo-Reagan puis, dans DK2, à Lex Luthor devenu président.
Sur la forme, ne vous attendez pas à des miracles : le style de Jerry Siegel, assez marqué années trente, reste très basique (même s'il évoluera plus tard). Semic a en revanche eu l'excellente idée de reproduire des couvertures, des nouvelles de Jerry Siegel, des publicités d'époque, et même des coupons d'adhésion au club Superman découpables dans les journaux, ce qui donne un cachet nostalgique particulièrement bienvenu à l'album, le tout sur un papier d'excellente qualité. Si vous avez l'âme d'un collectionneur, et que vous aimez Superman, les vingt-neuf euros nécessaires à l'acquisition de cet ouvrage de près de trois cent pages sont amplement justifiés.
Florent M. 03/12/2008
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