En ouvrant le studio Image, le scénariste/dessinateur canadien Todd Mc Farlane comptait mettre sur pied un espace de libre expression où les auteurs seraient propriétaires de leurs œuvres (ce qui n'est pas le cas aux États-Unis, où les droits des personnages créés reviennent de facto à l'éditeur). Alléchés par cette perspective, les plus grands noms des comics ( Frank Miller, Alan Moore, Neil Gaiman...) se prêtèrent au jeu et, pour la plupart, firent leurs armes sur Spawn, titre fétiche de l'éditeur conçu par Mc Farlane lui-même. Pendant quelques mois, un vent de fraîcheur souffla sur le monde des comics, avant qu'auteurs et lecteurs ne déchantent : tout d'abord, Mc Farlane s'avéra être un businessman redoutable qui n'avait rien à envier aux éditeurs concurrents, malgré la posture de « défenseur des artistes » qu'il se plaisait à prendre.
Ainsi, Image ne se révélait pas aussi utopique qu'il paraissait au départ, et pour ne citer qu'un exemple Neil Gaiman ne put jamais récupérer les droits de sa création : Angela. Ensuite, les séries s'avéraient peu originales, sortes de copié/collé des titres Marvel, mais incapables de s'en démarquer. Volontiers racoleurs, ces titres finirent par sombrer dans l'oubli pendant que les départs d'artistes se multipliaient et que les retards s'accumulaient. Après bien des déboires, le studio Image existe encore, mais sans espoir de rivaliser avec les deux géants que restent DC et Marvel, comme il pouvait y prétendre dans les années quatre-vingt dix.
Pourtant, au cœur de ce bouillonnement d'idées, quelques auteurs parvinrent à tirer leur épingle du jeu, en particulier sur Spawn. On oubliera vite les épisodes (volontairement ou pas, on ne le saura jamais) pathétiques de Frank Miller, mais on retiendra en revanche les travaux d'Alan Moore et de Neil Gaiman. Le premier, qui connut tant de mésaventures avec les éditeurs, sûrement attiré par l'idée de donner un coup de pouce à la démarche audacieuse de Todd Mc Farlane, livra quelques excellents épisodes de Spawn, où un criminel passé à trépas visitait les différents cercles des enfers, mais aussi la mini-série Spawn Blood Feud.
Disons-le tout de suite, son scénario n'a rien de phénoménal : une banale histoire de meurtres en série dont Spawn est accusé à tort sert de prétexte à Moore pour en venir au sujet qui l'intéresse : son costume est vivant. Si l'idée n'est pas neuve (elle fut initialement exploitée avec le costume noir de Spider-Man dans Les Guerres Secrètes), le scénariste parvient à la transcender en nous livrant, au détour d'une page, des monologues fulgurants de poésie macabre prononcés par « K-7 Leetha, fille de la septième maison de K ». Le costume d'Al Simmons est donc non seulement vivant, mais il s'agit d'une « femelle » attachée à lui, dans tous les sens du terme. [SPOILER] Et quand Simmons, convaincu de sa culpabilité dans la série de meurtres, l'enferme dans un coffre jeté au fond de l'eau, c'est pour mieux revenir la chercher ensuite au cours d'une véritable déclaration d'amour où Moore emprunte de sublimes accents baudelairiens, laissant Spawn prendre conscience que celle qu'il a rejetée est en réalité la seule à ne l'avoir pas trahi. Un zombi aimé par sa « peau », il fallait oser... [FIN SPOILER]
Florent M. 27/11/2008
|