Megan LINDHOLM Titre original : Wizard of the Pigeons, 1986 Première parution : États-Unis, New York : Ace Fantasy Books, janvier 1986 Traduction de Sylvie DENIS Illustration de Eduardo PEÑA
MNÉMOS
, coll. Dédales Dépôt légal : mars 2011 Réédition Roman, 288 pages, catégorie / prix : 19 € ISBN : 978-2-35408-108-9 Genre : Fantastique
À Seattle, les autres vagabonds l'appellent le Magicien. Lui, il voudrait juste qu'on le laisse tranquille. Quand il est revenu du Vietnam, il a cru qu'il avait laissé derrière lui ses vieux démons. Il ne voulait plus jamais sentir le souffle empoisonné de la guerre.
Mais quelque chose de maléfique s'insinue dans les rues de la cité, une magie noire qui menace la ville tout entière. Seul le Magicien possède un pouvoir suffisant pour l'arrêter. Alors bientôt, il devra choisir : rester et se battre, au risque de tout perdre, ou s'enfuir. Être un Magicien, le dernier, ou simplement un homme.
Depuis quelques années, Megan Lindholm, plus connue sous le pseudonyme de Robin Hobb, fait partie des auteurs de Fantasy les plus vendus en France, notamment grâce à son cycle de L'Assassin royal. Auteur prolifique et figure incontournable de la Fantasy, elle a déjà publié de nombreux romans et nouvelles, qui passionnent tous les publics. Elle est née en Californie en 1952 et vit aujourd'hui dans l'État de Washington.
Excellente initiative des éditions Mnémos que d'éditer l'un des livres publiés par Robin Hobb sous son autre pseudonyme : Megan Lindholm. Dans ce roman, Le Dernier Magicien, on retrouve tout à fait l'émotion et l'écriture de séries comme l'Assassin Royal ou les Aventuriers de la Mer, mais alors que Robin Hobb nous avait habitués à voyager dans un univers extrêmement bien construit et cohérent, il règne chez Megan Lindholm un flou bizarre.
Imaginez plutôt : le Magicien, un sans-abri amnésique reconnu pour ce qu'il est par ses pairs, Cassie et Raspoutine, doit respecter certaines règles pour pouvoir pratiquer sa magie. D'un unique sachet de pop-corn il doit sans relâche nourrir ses pigeons (le titre original est Wizard of the Pigeon), il doit écouter ceux qui l'approchent et leur dire ce qu'il sait, sans jamais mentir ni éluder les questions. Enfin il rentre dans son squat ou en sort en suivant un rituel de... protection ? dépistage ? Survient un jour une chose étrange et dangereuse que lui seul peut arrêter, mais à laquelle il lui est également possible de livrer la ville, le monde. Luttera-t-il ? Ne préfèrera-t-il pas retrouver son passé, sa vie d'homme, un bonheur confortable ?
La véritable héroïne du roman est sans conteste la ville de Seattle, que Megan Lindholm nous dépeint de multiples façons, telle qu'elle est ou telle qu'elle aurait pu être, ou encore telle qu'elle existe ailleurs, dans un autre espace-temps. Le lecteur français manquera peut-être de références pour saisir toutes les subtilités du récit, ce qui contribuera à cette sensation de flou. Un autre facteur déstabilisant pour le lecteur tient à la curieuse construction du roman : chaque chapitre semble conçu comme une nouvelle, avec un démarrage assez long, et une fin en apothéose qui donne envie de se plonger dans le suivant. Mais le suivant démarre ailleurs et lentement... Cependant, cette volontaire absence de liaison entre les chapitres illustre bien la discontinuité de la vie du Magicien...
Quoi qu'il en soit, Le Dernier Magicien est incontestablement un excellent roman de fantasy urbaine où l'on trouve en germe tous les éléments émotionnels — solitude, peur du rejet, difficulté du choix entre loyauté et liberté — dont l'auteur se servit par la suite sous un autre nom. Remarquable par sa fine observation de l'âme humaine, ce livre ravira les fans de Robin Hobb, mais séduira aussi des lecteurs qui ne se sont jamais sentis attirés par ses œuvres plus connues.
Lucie CHENU Première parution : 12/3/2004 nooSFere
Seattle, milieu des années 80. Le Magicien se déplace dans les rues en suivant un parcours invariable. Il a dans ses poches un sac de pop-corn destiné aux pigeons, et juste assez de monnaie pour se payer une tasse de café. Pas plus, jamais. Donner plus qu'on ne reçoit est la première règle de la Magie. Pour le reste, Seattle nourrit et abrite celui qui la respecte. Et le Magicien connaît chaque détail de son histoire. Un excès de mémoire par défaut, car il est amnésique. Le Viet vet ne peut, ou ne souhaite plus, se rappeler du napalm et des hélicoptères, de tous ces actes ignobles commis alors qu'il n'était qu'une machine à tuer. Depuis, il poursuit sa rédemption en absorbant la peine des inconnus croisés dans le bus ou rencontrés sur un banc. Car il détient la Connaissance, ce pouvoir de dire la Vérité révélée par la communauté des enchanteurs. Pour l'essentiel, Raspoutine, un géant d'ébène qui danse au rythme des pulsations urbaines, et Cassie, étrange femme au physique changeant, élève du légendaire Merlin. Le Don est affaire de rituels pratiqués au quotidien, à condition de ne jamais prendre ce que l'on désire le plus. Comme une femme. En l'espace d'une nuit, le Magicien va devoir affronter Linda, qui déploie les séductions de sa vie précédente : sexe, drogue, alcool et violence. Au moindre faux-pas, Mir le démon se répandra dans la ville, mais la tentation est grande de retrouver une existence normale. On survit à l'enfer, pas à la réalité...
Ce livre est un tour de force. Concentrant les éléments propres à la fantasy dans l'espace urbain, il parvient à les purifier en revenant à l'essentiel. L'objet de la quête est un hamburger jeté, l'armure resplendissante un pardessus douteux, et le prince charmant un sans-abri qui se décrasse dans les toilettes publiques pour ne pas ressembler à un fouilleur de poubelles. La Magie consiste à résister au froid, ou à réconforter l'autre d'une parole. Vivre un jour de plus, et c'est déjà pas mal. Graffiti du métro ou comptines entendues au coin de la rue sont des formules d'invocations pour qui sait les identifier, en l'occurrence une bande de clodos formant la dernière Table Ronde. On pense au personnage du Wizard dans Taxi Driver, le vétéran des cabs qui détient la mémoire de la nuit. Les héritiers d'Arthur ont toujours été à part. Supérieurs au commun, ils sont tombés bien bas, d'une terrifiante hauteur de trottoir. Le regard des autres interdit de se relever. Et bien plus qu'à l'habituelle ménagerie d'elfes ou de nains, l'étrange appartient aux sans-abri, à cette communauté des marginaux confinés par force dans l'étrangeté. Sans misérabilisme, déployant un style remarquablement sobre, Megan Lindholm marque la différence entre être une personne et n'être personne. Un roman que l'on rangera à côté du Neverwhere de Neil Gaiman. Excusez du peu.