J. Gregory Keyes, né en 1963 dans l'État du Mississippi, a exercé plusieurs métiers pittoresques tout en accomplissant des études très poussées dans le domaine de l'anthropologie. Après deux romans de fantasy remarqués, il s'est imposé â l'attention du public et de la critique américains avec « L'Age de la déraison », une tétralogie évoquant un XVIIIe siècle parallèle particulièrement jubilatoire, dont Les Démons du roi-soleil (Grand prix de l'Imaginaire 2002), L'Algèbre des anges et L'Empire de la déraison constituent les trois premiers volets.
Tandis que les forces du Prétendant continuent d'étendre leur mainmise sur les colonies anglaises du Nouveau Monde, l'armée russe poursuit sa marche inexorable en provenance de l'Ouest, rejointe au fur et à mesure par les peuples qu'elle rencontre. Seul un endroit échappe encore à la menace d'invasion, New Paris, en Louisiane, où Philippe d'Orléans s'efforce de faire survivre le souvenir du vieux royaume de France. C'est là qu'arrive enfin Benjamin Franklin en compagnie de ses amis de la Junte, contraint de rallier Philippe à sa cause pour sauver l'ébauche de démocratie qu'il a eu tant de mal à mettre en place. Le tsar Pierre, de son côté, ne pense qu'à se venger de ceux qui ont tué sa femme et l'ont dépossédé de son pays et de son armée. Décidé lui aussi à demander l'appui de la Nouvelle France, il poursuit sa route vers la Louisiane, mais désormais sans Red Shoes, le chaman choctaw qui lui a sauvé la vie, celui-ci étant sujet à des crises de folie meurtrière depuis sa victoire sur un esprit puissant. Quant à Adrienne de Montchevreuil, elle est en passe de rattraper Nicolas, le fils qu'on lui a pris alors qu'il n'était encore qu'un bébé — un enfant devenu, malgré lui, le prophète de l'armée qui déferle sur le Nouveau Monde.
Tous vont se retrouver à New Paris pour en découdre. Ils devront cependant oublier leurs nombreuses querelles personnelles s'ils veulent avoir une chance contre leur seul véritable ennemi, les malakim, dans la formidable bataille qui les attend...
Critiques
Voici le quatrième et dernier tome de L'âge de la déraison, la tétralogie de J. Gregory Keyes. Après un premier tome très réussi, et des suites satisfaisantes — même si l'effet de surprise du premier volume était passé — l'auteur va-t-il réussir à livrer une conclusion à la hauteur ? La réponse est indubitablement positive.
Désormais, tous les protagonistes sont sur le continent américain, de Benjamin Franklin à Adrienne de Monchevreuil, en passant par l'indien Red Shoes, les rois de France et de Suède et le tsar de Russie. Tous ces personnages, que Keyes a patiemment jetés dans l'intrigue depuis le premier tome, et qui se sont croisés durant tout le cycle, convergent tous vers New Paris, en Louisiane, pour le grand final.
On savait depuis longtemps que cela devait se terminer dans un conflit global, mais le moins que l'on puisse dire est que l'auteur s'est donné les moyens d'une superproduction hollywoodienne : la guerre entre les différents groupes a lieu aussi bien sur terre, dans la mer (en sous-marin) et dans les airs (en zeppelin). De plus, Adrienne doit affronter son propre fils, Nicolas, devenu l'Enfant-Soleil, une menace pour le monde, ce qui porte le combat sur un autre plan, celui de la lutte psychique. Il en résulte un récit trépidant, sans temps mort et empli de gestes héroïques, mais qui au-delà de ce pur plaisir de lecture, montre la guerre dans toute son horreur. Et que certains combattants se rendent compte brutalement qu'ils luttent contre les leurs, pour des raisons qu'ils ont un peu oubliées, n'est pas sans faire froid dans le dos.
A l'âge de la déraison succède fatalement celui de la raison ; ce cycle tout entier est donc à prendre comme le passage chaotique d'un monde à l'autre. Un mal nécessaire pour jeter les bases de ce qui sera peut-être un monde meilleur : les rois appartiennent au passé, l'esclavage aussi. Chacun libre de ses pensées et gestes. Keyes n'est toutefois pas dupe, et il fait dire à Benjamin Franklin que malgré la possibilité d'autres guerres, « [cette paix] qui avait été un jour pouvait être à nouveau, et encore à nouveau, tant qu'il restait des individus ayant le le coeur et la volonté de parler et d'agir ».
Un petit conseil, néanmoins, pour goûter au maximum ce livre : vu le nombre de personnages de l'histoire, et le nombre encore plus grand d'interactions entre eux, on préférera lire le cycle dans la continuité plutôt qu'en laissant passer quelques mois entre chaque tome. Sinon, on risque d'oublier certains pans de l'intrigue, et se retrouver parfois un peu perdu. Malgré ce petit bémol, L'âge de la déraison, récit d'aventures épique, mérite amplement sa place parmi les meilleurs publiés durant la dernière décennie, grâce à l'inventivité et au talent de scénariste de J. Gregory Keyes.
Cité dans les Conseils de lecture / Bibliothèque idéale des oeuvres suivantesAndré-François Ruaud : Cartographie du merveilleux (liste parue en 2001) pour la série : L'Age de la déraison