FLAMMARION
(Paris, France), coll. Imagine n° (38) Dépôt légal : octobre 2002 Première édition Roman, 336 pages, catégorie / prix : 17 € ISBN : 2-08-068267-9 Genre : Fantastique
Quatrième de couverture
Jonathan Carroll est américain mais vit à Vienne. Il a fait une entrée très remarquée en France avec Le Pays du fou rire (J'ai lu), qui lui a valu le prix Apollo 1989. Il a publié depuis une douzaine de livres, dont le recueil Collection d'automne (Denoël), qui a obtenu le Grand prix de l'Imaginaire 2000, catégorie « nouvelle étrangère ». Admiré aussi bien de James Ellroy que de Stephen King, il sait mêler comme nul autre réalisme magique, humour et suspense.
Frannie McCalbe, le chef de la police de Crane's View, coule des jours heureux depuis les affaires auxquelles il a été mêlé de plus ou moins loin dans Le bûcher des immortels et Le baiser aux abeilles, quand un vieux chien borgne et estropié vient mourir dans son bureau. Quoique enterré selon les règles, ledit chien reparait bientôt dans le coffre de sa voiture, puis dans un tableau du XVIIIe siècle, toujours accompagné d'une étrange plume baladeuse...
Dès lors, la mécanique bien huilée de l'existence de Frannie parait brusquement se dérégler : une lycéenne morte d'une overdose lui adresse des dessins prophétiques, il se trouve projeté de trente ans dans l'avenir, puis flanqué de l'adolescent qu'il était à seize ans — une petite teigne invivable...
« Comment se fait-il que ma vie ressemble désormais à un tableau de Salvador Dali ? » La réponse, débusquée au terme d'un parcours en forme de grand huit qui, selon les mots du Publisher's Weekly, « combine l'attirance d'un Georges Perec pour les puzzles et l'intérêt d'un Philip K. Dick pour la métaphysique », sera vertigineuse.
Critiques
Frannie McCabe, chef de la police de Crane's View, coule des jours paisibles avec sa seconde femme et sa fille née d'un premier mariage. Jusqu'à ce qu'il recueille un vieux chien borgne et estropié qui meurt aussitôt dans son bureau. Il l'enterre dans la nature, ornant son cadavre d'une plume bariolée récupérée dans la maison d'un couple volatilisé. Tout se détraque alors. Une lycéenne morte lui adresse un dernier message ; le chien réapparaît dans le coffre de sa voiture, ainsi que sur un tableau du XVIIIe siècle, où figure également la plume qui n'appartient à aucun oiseau. La version adolescente de Frannie, une petite teigne prédélinquante, vient l'aider à résoudre... quoi ? C'est à Frannie de le découvrir. Un mystérieux interlocuteur qui le presse de trouver la solution à ces mystères le projette dans le futur ; Frannie devient, pour quelques voyages, un vieillard vivant les derniers jours de son existence, puis se promène dans son passé, flanqué de son double adolescent, en butte à un personnage qu'il ne rencontrera que dans un quart de siècle. Rien de ce qui lui arrive ne semble plus avoir de sens : ceux qui lui imposent ces épreuves sont-ils des anges ou des extraterrestres ?
Dans ce récit déroutant, Jonathan Carroll se penche une fois de plus sur le sens de la vie, qui passe par la connaissance de soi. Cette quête était déjà celle de Miranda dans Le Bûcher des immortels et celle de Sam Bayer dans Le Baiser aux abeilles, les deux précédents romans où apparaissait Frannie McCabe dans un rôle secondaire. L'auteur ne prétend délivrer aucune réponse à l'exception de la nécessité d'apprendre à apprécier chaque instant de la vie et de ne rien renier de ce que l'on a été.
Ni fantasy, ni science-fiction, ni fantastique, L'Aube du huitième jour confirme la maîtrise de Jonathan Carroll dans la veine du réalisme magique, aussi magique que son écriture, qui donne à des détails insignifiants de la vie quotidienne l'éclat et la profondeur d'instants éternels.
Où l'on retrouve le chef de la police de Crane's View, Frannie McCabe, déjà présent dans Le bûcher des immortels et Le baiser aux abeilles, les deux précédents romans de Jonathan Carroll. Le deuxième livre nous laissait sur une indécision : fallait-il voir dans Le baiser un polar, un roman fantastique, ou encore un hommage à l'actrice Veronika Lake ? Dès le début du troisième volet, le lecteur comprend d'emblée qu'il aura affaire à un texte relevant de l'imaginaire.
Un jour, McCabe voit arriver dans sa vie un vieux chien borgne et fatigué, qui meurt bientôt. Il l'enterre, mais son cadavre resurgit bientôt dans le coffre de sa voiture, accompagné d'une curieuse plume et d'un bout d'os. Doté d'un solide sens de l'humour, le policier croit d'abord à un canular, mais il conclut vite à l'intervention du surnaturel. Les phénomènes inexpliqués s'enchaînant les uns aux autres avec une régularité de métronome (pourquoi le tout nouveau tatouage de Pauline, la fille de McCabe, reprend-il exactement le motif de la plume qu'il a trouvée et tenue secrète ?), on pense alors que le roman prend la direction du fantastique. Erreur. Car l'entrée en scène de Gee-Gee — c'est-à-dire Frannie lui-même à l'âge de vingt ans, avec son caractère rebelle et violent — vient tout compliquer. Le roman bascule du fantastique dans la science-fiction, avec voyage dans le temps à la clé. Encore une fois, l'auteur se livre au mélange des genres qu'il affectionne tant. Au cœur de son récit, des personnages profondément humains, donc forcément attachants. A ce titre, le fait de dédoubler son principal protagoniste lui permet de l'approfondir davantage. ; les dialogues entre les deux émanations de McCabe, l'une jeune et rebelle, l'autre plus âgée et assagie, sont un bon moyen de pratiquer l'introspection sans que celle-ci soit trop cérébrale et pesante. Mais, à la différence du Baiser aux abeilles, qui reposait presque essentiellement sur les personnages, l'intrigue est ici consistante, bien que l'on se demande parfois ce qui ressortit à la réalité et ce qui appartient au rêve (ou plutôt au cauchemar). Et, même si la révélation du motif des tribulations vécues par McCabe est un peu décevante par rapport aux interrogations suscitées, on peut assurément savourer ce roman sensible. Et remarquer que, si dans le précédent roman Crane's View faisait penser à Twin Peaks, la ville de ce nouvel opus ressemble fort au Castle Rock de Stephen King.
Hésitation entre polar et fantastique dans Le baiser aux abeilles, entre fantastique et science-fiction dans L'aube du huitième jour (on préférera le titre original : The Wooden Sea, soit La mer de bois), Jonathan Carroll s'amuse une nouvelle fois à brouiller les pistes avec bonheur. On attend donc avec impatience son prochain roman, dont lui seul sait ce qu'il nous réserve.