Francis Berthelot, polytechnicien et chercheur en théorie littéraire, a obtenu le Grand prix de l'Imaginaire dans les quatre catégories « nouvelle », « roman » (pour Rivage des intouchables, Folio SF), « essai » et « jeunesse ». Après un passage par la littérature générale, il revient à un imaginaire dans tous ses états par les voies du merveilleux noir présent dans ses derniers romans : en particulier Mélusath (Fayard, 1999) et Le Jeu du cormoran (Fayard, 2001).
La nuit du 9 septembre 1978, les membres de l'Ordre du Fer Divin se sont immolés avec leur gourou. L'unique survivant est le fils de ce dernier, Kantor, un garçon de douze ans. Traumatisé et rebelle, il affronte l'adolescence dans un monde hostile où il ne dispose pour s'affirmer que du terrible pouvoir de pénétration mentale hérité de son père.
Seul, un de ses camarades de collège échappe à son pouvoir : Octave Angernal, fils d'un des plus grands penseurs du moment. Non sans heurts, ils deviennent amis. Mais si Kantor ne peut éteindre l'incendie qui brûle en lui, Octave, écrasé par la figure de son père, cède à un froid pernicieux : le sentiment de n'être personne.
L'un, enfiévré par des drames qui le font haïr Dieu, oscille entre l'appel de l'amour et la hantise du mal. L'autre, glacé par ses échecs, s'achemine vers le gel catatonique. Face à eux, la lumineuse Iris, sœur d'Octave et amie de Kantor, s'obstine à croire en la vie...
À ranger aux côtés de L'Oreille interne de Robert Silverberg, un roman où la finesse de l'analyse psychologique prend les couleurs de la poésie.
Critiques
Ceux qui ont souffert feront souffrir. On n'échappe pas à cette fatalité sauf au prix d'une psychanalyse, ce remue-merde où il faut souffrir à nouveau et de façon volontaire ce qui avait été naguère subi.
Kantor Ferrier est le fils du gourou de l'Ordre du Fer Divin, Fercaël, un sadique assoiffé de pouvoir et de violence. Kantor est l'un des deux rescapés de l'OFD, en lequel on peut voir un démarquage du « Temple Solaire », avec Valesco, l'âme damnée de son père. De Fercaël, il a hérité d'un terrible pouvoir psychique qui lui permet de manipuler tout un chacun à sa guise... Finalement, sa tante, Muriel, le prend sous son aile pour tenter de lui offrir une vie normale mais, à cause des traumatismes qu'il a subis et de son pouvoir, il reste solitaire et ombrageux.
Ce ne sont là que les prémices d'une œuvre brillante, multiple et riche, un roman où se mêlent poésie et dureté. Car Nuit de colère est un livre âpre, parfois même insupportable. D'autant plus que Francis Berthelot n'en fait pas trop. Les descriptions des horreurs dues à Fercaël sont minimalistes et sans fard. Il n'y a aucune complaisance à l'égard de la violence et du sadisme du gourou.
Nuit de colère est donc un roman sur la violence. Pour servir son discours, Francis Berthelot tient la gageure de mettre en scène un intellectuel de tout premier ordre, Yann Angernal, et ce de façon crédible. Berthelot ose nous introduire dans l'œuvre et la réflexion de cet homme, philosophe et psychanalyste, qui a travaillé sur la tyrannie et la barbarie. Oser est une chose, réussir en est une autre, mais c'est haut la main que Berthelot passe l'épreuve. Les travaux du personnage servent ainsi le roman sans pour autant l'alourdir de pesantes digressions.
En dépit des éléments fantastiques mis en place, Nuit de colère est un roman de littérature générale. Celle-ci, à l'instar des littératures de genre, peut se décliner selon les canons du divertissements ou ceux d'un regard critique sur le monde. Nuit de colère est riche de ce regard sur la généalogie de la violence. Un regard auquel ne cesse de faire pendant celui de Kantor, qui lui permet de percevoir l'espace mental d'autrui sous l'aspect d'un paysage de végétaux qu'il peut tailler à son gré. On est cependant loin, bien loin, d'un livre tel que L'Echiquier du mal de Dan Simmons. Si l'un comme l'autre se penchent sur le mal que peut engendrer pareil pouvoir, Berthelot délaisse le registre de l'action — ce qui ne veut pas dire que son livre manque de rythme, au contraire — et se consacre à ses personnages dans un registre intimiste plutôt que de poser sur la question un regard social, politique et historique.
Berthelot s'intéresse à la place du père dans la constitution d'un être. Une place qui se retrouve au cœur du roman. Au rapport entre Fercaël et Kantor, il oppose celui non moins destructeur entre Yann Angernal et son fils Octave, qui se vit comme nié par l'éclat solaire de son père. Fercaël était un anti-père dont l'arbitraire aléatoire ne saurait dire la Loi, ne pouvant qu'engendrer soumission, haine et ressentiments, les ferments de la violence. Au sortir de ce chaos, Kantor s'est restructuré auprès de Yann Angernal, mais la mort accidentelle trop tôt survenue de celui-ci va le replonger dans ses démons. Il va alors lancer un défi œdipien à ce dieu cynique qui n'a nulle considération pour les choses de ce bas monde. N'ayant pu accomplir le meurtre symbolique de ce père aux prétentions divines qui s'est enfui dans la mort, Kantor ne pouvait plus dès lors que défier le modèle de base. Il va un temps exploiter son pouvoir pour mettre le nez dans la bassesse humaine, où il se complaît et dont il se repaît. Une bien cruelle vision du monde.
Dans le même temps, en révolte contre un père trop brillant, inégalable, Octave sombre petit à petit dans le gel catatonique. Les morts de Yann, puis de sa femme, Claire, qui ne survit pas à son soleil de mari, ne font que rendre les choses irrémédiables. Pour Octave, jamais plus son père ne pourra constater son existence et il s'achemine sur le chemin de la dépression dont le gel est la très belle expression métaphorique.
En contrepoint, Iris, la fille de Yann, qui porte un prénom de fleur, s'épanouit dans la lumière paternelle. Grâce à son amour pour Kantor et au sacrifice de son plus cher désir, elle parviendra à survivre à ses parents, à sauver son frère, à sauvegarder la mémoire de son père et à apaiser un Kantor libéré de son funeste héritage.
Francis Berthelot livre là un remarquable roman tel qu'il ne nous en est pas souvent donné à lire. Il réussit l'improbable alchimie de la dureté et de la poésie ; fait évoluer des personnages complexes, sans fausse note, leur fait exprimer à la fois la bassesse du monde et l'espoir par l'usage d'un verbe recherché et juste, d'images fortes, révèle certains rouages d'une barbarie endémique mais non fatale.
Esthétique, richesse, densité, pertinence du propos se conjuguent pour faire de Nuit de colère un livre qui en éclipsera beaucoup. De la littérature de premier plan. Et si vraiment vous en êtes à 1,10 euros près, je vous les filerai pour que vous lisiez ce livre plutôt que Casiora.
Nuit de colère est un roman de merveilleux noir, tel que le définit lui-même Francis Berthelot. S'il n'était ici question de pouvoirs psis, nous ne pourrions pas en rendre compte dans les colonnes de Galaxies. Ce serait dommage pour ces lecteurs gourmands de nouvelles sensations et curieux de découvrir autre chose que de la science-fiction pur jus. Alors, même si l'auteur de la quatrième de couverture fait un intéressant parallèle avec L'Oreille interne de Robert Silverberg, le critique en ose un autre, en comparant le talent et les préoccupations de Berthelot avec ceux de Théodore Sturgeon. Gérard Klein écrivait dans Fiction n° 41 d'avril 1957 : « Quelles sont ces régions qu'explore Sturgeon ? Ce sont, puisque [ses] personnages sont isolés, des paradis ou des enfers individuels. Plus souvent des enfers que des paradis. Car cette qualité de conscience dont bénéficient les héros de Sturgeon est aussi une souffrance — la solitude. »Et Nuit de colère, encore plus que les quatre premiers romans se rattachant au cycle intitulé Le Rêve du démiurge (L'Ombre d'un soldat, Le Jongleur interrompu, Mélusath et Le Jeu du cormoran), démontre que cette comparaison est loin d'être hâtive. L'univers de Berthelot est celui de l'âme et du cœur humains, une œuvre où les êtres comptent bien plus que les décors, où les émotions et les différences procurent de plus intenses sensations que n'importe quelle scène d'action, si époustouflante soit-elle.
Kantor Ferrier, le fils de Fercaël, le gourou de l'ordre du fer Divin, a échappé au suicide collectif par immolation de la secte. Depuis ses douze ans, instable et haineux, il lutte contre sa hantise du mal et sa fascination pour le pouvoir de pénétration mentale qu'il a hérité de son géniteur, une arme à double tranchant. Sa haine de Dieu, les souvenirs traumatisants de son enfance et les atrocités de son père qui se révèlent peu à peu le consument de l'intérieur comme un gigantesque brasier. Octave Angernal est le fils du chef de file de la « psychosophie » française, un penseur reconnu partout dans le monde. Écrasé lui aussi par l'ombre de son père, il s'autodétruit en tuant ses sentiments et en niant sa propre existence. Ce froid intérieur le paralyse de plus en plus et rien ne peut, semble-t-il, l'empêcher. Lorsque Kantor rencontre Octave, le seul qu'il ne peut contrôler mentalement, une relation d'amitié-haine se crée, renforcée par l'amour de Kantor pour Iris, la sœur de son ami. Dès lors, au fur et à mesure des années d'adolescence et de jeunes adultes, les deux êtres vont se laisser porter par cette spirale destructrice et plonger au cœur de leurs ténèbres intérieures. Malgré les haines, les jalousies, les tentations et le mal — différent — qui les ronge, sauront-ils trouver le chemin de la rédemption ou sombreront-ils dans les flammes de leur enfer personnel ?
Jamais le lecteur ne s'identifie à ces personnages torturés et dérangeants. Non, ils lui sont trop étrangers. Et pourtant, leurs combats fascinent, terrifient, nous bouleversent et nous font nous remettre en question avec une rare intensité. Nous contemplons tout ce qui fait l'Homme : ses faiblesses, ses facettes inavouables, ses doutes, son besoin d'amour, sa peur du néant. Noir, inquiétant et dérangeant, ce roman explore les territoires du désespoir et des dégâts engendrés par le mal-être et l'absence d'amour. Mais jamais Berthelot ne cède à la facilité, l'espoir existe mais ce n'est pas une ficelle de l'intrigue, c'est le but quasi inaccessible d'une quête personnelle intime, ravageuse et pourtant vitale. Et si Francis Berthelot excelle dans cet art de l'introspection, dans cette recherche de l'ultime étincelle d'espoir, dans cette description de paysages mentaux tourmentés, c'est certes qu'il est un écrivain en pleine possession de ses talents de styliste et de conteur, mais surtout parce qu'il parle de l'humanité, de l'Homme, de lui. Pour toutes ces raisons et bien d'autres encore, Nuit de colère ne se conseille pas, Nuit de colère s'impose.
Kantor Ferrier est un jeune garçon traumatisé. Il faut dire que son passif familial est lourd : il est le fils de Fercaël, le gourou de l'Ordre du Fer Divin, une secte dont tous les membres se sont suicidés par immolation, une nuit de septembre 1978. Après avoir erré d'hôpital en lieu de réinsertion, Kantor est finalement hébergé par sa tante. Il va tenter de réapprendre à vivre en société. Pas facile pour lui, qui a hérité de son père un don dont il se serait volontiers passé : celui de pénétration mentale. Il peut ainsi admirer à loisir l'esprit des gens qu'il rencontre, et qu'il visualise sous la forme d'une végétation plus ou moins touffue, éclairée, ordonnée ou accueillante. Il trouvera sur sa route plusieurs personnes prêtes à l'aider à se réconcilier avec lui-même et avec l'espèce humaine : notamment Octave Angernal, lui aussi étouffé par la personnalité envahissante de son père, un écrivain renommé, et sa soeur Iris, qui irradie littéralement.
Ce roman marque le retour dans une collection spécialisée de Francis Berthelot, qui avait l'habitude ces dernières années de publier dans des collections « blanches », sans cesser de flirter avec la SF et la fantasy. Du reste, Nuit de colère est le cinquième volume d'un cycle romanesque, bien qu'on puisse le lire sans aucun problème indépendamment des précédents (qui n'appartiennent pas nécessairement au fantastique).
Le sujet du livre est noir, et son traitement à l'unisson : Kantor suit sa destinée, dont on ne peut à aucun moment prédire où elle le mènera, en enfer ou au calme (car le paradis est trop demander). De son père, illuminé malfaisant qui réapparaît à travers des retours en arrière particulièrement sordides, Kantor a conservé envers lui-même une aversion marquée, liée au talent hérité de son géniteur : il est persuadé que son destin reproduira celui de son père. Il est effrayé, mais il est aussi fasciné. Il est vrai que son pouvoir fait de lui une sorte de demi-dieu, capable de grandes choses s'il s'en donne la peine. Son père l'avait compris, mais avait suivi la mauvaise voie. Kantor voudrait l'évacuer de son esprit, mais n'y arrive pas, et ce d'autant plus que son talent l'isole des autres : inadapté il est, inadapté il restera. C'est du moins ce qu'il croit. La rencontre d'Octave Angernal (compression d' « Ange » et d' « Infernal ») lui sera salutaire : enfin, il croise la route d'une personne qui souffre comme lui d'une famille trop envahissante. Bien qu'il soit tout autant que Fercaël fasciné par la face obscure des choses, Yann Angernal a choisi de l'étudier, de la disséquer sans la mettre en pratique. Il sera d'une aide précieuse à Kantor.
Cette double opposition fils / père fournit à Francis Berthelot la matière d'un roman passionnant sur les rapports entre fascination et répulsion, endoctrinement et libre arbitre, ombre et lumière. Un livre bâti sur des personnages forts, dont l'argument fantastique est prétexte à décortiquer l'âme humaine. Et l'on n'oubliera pas de sitôt Kantor, Octave et Iris, tous aussi viscéralement humains, tous pétris de contradictions.
Bruno PARA (lui écrire) Première parution : 1/3/2003 nooSFere Mise en ligne le : 1/3/2003